Jules César | Page 7

William Shakespeare
il tremblait. Rien n'est plus vrai, je vis ce dieu trembler: ses lèvres poltronnes avaient fui leurs couleurs; et ce même oeil, dont le regard seul impose au monde, avait perdu son éclat. Je l'entendis gémir, oui, en vérité; et cette langue qui commande aux Romains de l'écouter et de déposer ses paroles dans leurs annales[12], criait: ?Hélas! Titinius, donne-moi à boire,? comme l'aurait fait une petite fille malade. Dieux que j'atteste, je me sens confondu qu'un homme si faible de tempérament prenne les devants sur ce monde majestueux, et seul remporte la palme.
(Acclamation, fanfare.)
[Note 12: Voltaire s'est ici tout à fait mépris sur le sens; il traduit ainsi:
Et cette même voix qui commande à la terre, Cette terrible voix (remarque bien, Brutus, Remarque, et que ces mots soient écrits dans tes livres)]
BRUTUS.--Encore une acclamation! Sans doute ces applaudissements annoncent de nouveaux honneurs qu'on accumule sur la tête de César.
CASSIUS.--Eh quoi! mon cher, il foule comme un colosse cet étroit univers, et nous autres petits bonshommes nous circulons entre ses jambes énormes, cherchant de tous c?tés où nous pourrons trouver à la fin d'ignominieux tombeaux. Les hommes, à de certains moments, sont ma?tres de leur sort; et si notre condition est basse, la faute, cher Brutus, n'en est pas à nos étoiles; elle en est à nous-mêmes. Brutus et César.... Qu'y a-t-il donc dans ce César? Pourquoi ferait-on résonner ce nom plus que le v?tre? écrivez-les ensemble, le v?tre est tout aussi beau; prononcez-les, il remplit tout aussi bien la bouche; pesez-les, son poids sera le même; employez-les pour une conjuration, Brutus évoquera aussi facilement un esprit que César. Maintenant dites-moi, au nom de tous les dieux ensemble, de quelle viande se nourrit donc ce César d'aujourd'hui pour être devenu si grand? Siècle, tu es déshonoré! Rome, tu as perdu la race des nobles courages! Quel siècle s'est écoulé depuis le grand déluge, qui ne se soit enorgueilli que d'un seul homme? A-t-on pu dire, jusqu'à ce jour, en parlant de Rome, que ses vastes murs n'enfermaient qu'un seul homme? C'est bien toujours Rome, en vérité, et la place n'y manque pas, puisqu'il n'y a qu'un seul homme[13]. Oh! vous et moi nous avons ou? dire à nos pères qu'il fut jadis un Brutus qui e?t aussi aisément souffert dans Rome le tr?ne du démon éternel que celui d'un roi.
[Note 13:Now it is Rome indeed, and room enough When there is in it but one only man.
Room, place, lieu, endroit, se prononce à peu près comme Rome. C'est tout au plus si on a pu dans la traduction donner un sens à cette phrase, qui, dans l'original, n'en a absolument que par le calembour.]
BRUTUS.--Que vous m'aimiez, Cassius, je n'en doute point. Ce que vous voudriez que j'entreprisse, je crois le deviner: ce que j'ai pensé sur tout cela, et ce que je pense du temps où nous vivons, je le dirai plus tard. Quant à présent, je désire n'être pas pressé davantage; je vous le demande au nom de l'amitié. Ce que vous m'avez dit, je l'examinerai. Ce que vous avez à me dire encore, je l'écouterai avec patience, et je trouverai un moment convenable pour vous écouter et répondre sur de si hautes matières. Jusque-là, mon noble ami, méditez sur ceci: Brutus aimerait mieux être un villageois que de se compter pour un enfant de Rome aux dures conditions que ce temps doit probablement nous imposer.
CASSIUS.--Je suis bien aise que le choc de mes faibles paroles ait du moins fait jaillir cette étincelle de l'ame de Brutus.
(Rentrent César et son cortège.)
BRUTUS.--Les jeux sont terminés; César revient.
CASSIUS.--Quand ils passeront près de nous, retenez Casca par la manche; et il vous racontera de son ton bourru tout ce qui s'est aujourd'hui passé de remarquable.
BRUTUS.--Oui, je le ferai. Mais regardez, Cassius: la teinte de la colère enflamme le front de César, et tout le reste a l'air d'une troupe de serviteurs réprimandés. Les joues de Calphurnia sont pales; Cicéron a ce regard fureteur et flamboyant que nous lui avons vu au Capitole, lorsque dans nos débats il était contredit par quelques sénateurs.
CASSIUS.--Casca nous dira de quoi il s'agit.
CéSAR.--Antoine!
ANTOINE.--César.
CéSAR.--Que j'aie toujours autour de moi des hommes gras et à la face brillante, des gens qui dorment la nuit. Ce Cassius là-bas a un visage have et décharné; il pense trop. De tels hommes sont dangereux.
ANTOINE.--Ne le crains pas, César; il n'est pas dangereux. C'est un noble Romain et bien intentionné.
CéSAR.--Je voudrais qu'il f?t plus gras, mais je ne le crains pas. Cependant si quelque chose en moi pouvait être sujet à la crainte, je ne conna?trais point d'homme que je voulusse éviter avec plus de soin que ce maigre Cassius. Il lit beaucoup, il est grand observateur et pénètre jusqu'au fond des actions des hommes. Il n'a point comme toi le go?t des
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