Jules César | Page 3

William Shakespeare
jusqu'à se donner un tort; dans la scène de la querelle avec Cassius, vaincu un moment par une effroyable et secrète douleur, il oublie la modération qui lui convient; enfin Brutus a tort une fois, et c'est Cassius qui s'humilie, car en effet Brutus est demeuré plus grand que lui.
Le caractère de César peut nous para?tre un peu trop entaché de cette jactance commune à tous les temps barbares où la force individuelle, sans cesse appelée aux plus terribles luttes, ne s'y soutient que par le sentiment exalté de sa propre puissance, et même a besoin d'être secourue par l'idée qu'en con?oivent les autres. Il fallait montrer dans César la force qui soumet les Romains et l'orgueil qui les écrase; Shakspeare n'avait qu'un coin pour laisser entrevoir cet état de l'ame du héros; il a forcé les couleurs. Cependant son César, je l'avoue, ne me para?t pas plus faux que le n?tre; Shakspeare me semble même, au milieu de ses rodomontades, lui avoir mieux conservé ces formes d'égalité que le despote d'une république garde toujours envers ceux qu'il opprime.
Le ton du Jules César est plus généralement soutenu que celui de la plupart des autres tragédies de Shakspeare. A peine, dans tout le r?le de Brutus, se trouve-t-il une image basse, et c'est au moment où il se laisse aller à la colère. Le soin visible qu'a mis le po?te à imiter le langage laconique que l'histoire attribue à son héros ne l'a que très-rarement conduit à l'affectation, si ce n'est dans le discours de Brutus au peuple, modèle de l'éloquence scolastique du temps de l'auteur. Le langage de Cassius, plus figuré parce qu'il est plus passionné, et d'une élévation moins simple que celui de Brutus, est cependant également exempt de trivialité. La harangue d'Antoine est un modèle de ruse et de la feinte simplicité d'un fourbe adroit qui veut gagner les esprits d'une multitude grossière et mobile. Voltaire blame, au moins avec sévérité, Shakspeare d'avoir présenté sous une forme comique la scène des Lupercales, dont le fond, dit-il, ?est si noble et intéressant.? Voltaire ne voit ici qu'une couronne demandée à un peuple libre qui la refuse; mais César se faisant, en présence du peuple, l'acteur d'une farce préparée pour lui, et désespéré des applaudissements qu'on donne à la manière dont il a joué son r?le, c'était là en effet, pour les bons esprits de Rome, quelque chose d'extrêmement comique et qui ne pouvait leur être présenté autrement.
L'action de la pièce comprend depuis le triomphe de César, après la victoire remportée sur le jeune Pompée, jusqu'à la mort de Brutus, ce qui lui donne une durée d'environ trois ans et demi.
On a en anglais une autre tragédie de Jules César composée par lord Sterline, connue du public, à ce qu'il para?t, quelques années avant que Shakspeare composat la sienne, et à laquelle Shakspeare pourrait bien avoir emprunté quelques idées. Cette tragédie finit à la mort de César, que l'auteur a mise en récit. Un docteur Richard Eedes, célèbre de son temps comme po?te tragique, avait fait en latin une pièce sur le même sujet, imprimée, dit-on, en 1582, mais qui n'a pas été retrouvée, non plus qu'une pièce anglaise intitulée The history of C?sar and Pompey, antérieure à l'année 1579. On imprima à Londres, en 1607, une pièce intitulée The tragédie of C?sar and Pompey, or C?sar's revenge. Cette pièce, qui comprend depuis la bataille de Pharsale jusqu'à celle de Philippes inclusivement, avait été représentée sur un théatre particulier, par quelques étudiants d'Oxford; on suppose qu'elle fut imprimée à l'occasion de la représentation et du succès de celle de Shakspeare, que la chronologie de M. Malone rapporte à cette même année 1607.
Le Jules César a été représenté, corrigé par Dryden et Davenant, sous le titre de Julius C?sar, with the death of Brutus, imprimé à Londres en 1719.
Le duc de Buckingham a aussi retravaillé cette même tragédie qu'il a séparée en deux parties, la première sous le titre de Julius C?sar, avec des changements, un prologue et un choeur; la seconde sous le titre de Marcus Brutus, avec un prologue et deux choeurs; toutes deux imprimées en 1722.

JULES CéSAR
TRAGéDIE

PERSONNAGES
JULES CéSAR.
OCTAVE CéSAR, ) triumvirs MARC-ANTOINE, ) ap. la mort M.EMILIUS LEPIDUS, ) de César.
PUBLIUS, ) POPILIUS LéNA, ) sénateurs CICERON. )
BRUTUS, ) CASSIUS, ) CASCA, ) TREBONIUS, ) conjurés LIGARIUS, ) contre DECIUS BRUTUS[1] ) Jules César. METELLUS CIMBER, ) CINNA. )
FLAVIUS ) MARULLUS ) tribuns du peuple.
LUCILIUS ) TITINIUS ) MESSALA ) amis de Brutus Le jeune CATON, ) et de Cassius. VOLUMNIUS )
ARTEMIDORE, sophiste ou rhéteur de Guide.
Un devin. CINNA, poète. Un autre Poète.
VARRON, ) CLITUS, ) serviteurs de Brutus CLAUDIUS, ) ou Romains attachés STRATON, ) à lui. LUCIUS, ) DARDANIUS, )
PINDARUS, esclave de Cassius.
CALPHURNIA, femme de César. PORCIA, femme de Brutus. SéNATEURS, CITOYENS, GARDES ET SUITE.
La scène,
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