est dans sa force matérielle et peut se personnifier dans la politique d'un homme, elle reconna?tra que nul homme ne peut être investi du pouvoir absolu sans en abuser. L'empereur des Fran?ais n'a pas su porter le lourd fardeau qu'il avait assumé sur lui. Mieux conseillé par un homme d'action pure, le roi Guillaume est au sommet de la puissance de fait; il n'en est pas moins condamné, quelle que soit l'intelligence de son ministre, quelque réglée et assurée que soit sa force, quelque habile et obstinée que semble sa politique, à voir s'écrouler son prestige. Les temps sont m?rs; ce qui se passe aujourd'hui chez nous est le glas des monarchies absolues: nous aurons été près de périr par la faute d'un seul, n'est-ce pas un enseignement dont l'Allemagne sera frappée? Si nous nous relevons, ce sera par le réveil de l'énergie individuelle et par la conviction de l'universelle solidarité. Guillaume continue en ce moment la partie que Napoléon III vient de perdre. Plus valide, plus lucide, mieux préparé, il semble triompher de l'Europe anéantie. Il brave toutes les puissances, il arrive à cette ivresse fatale qui marque la fin des empires. Détrompés les premiers, nous expions les premiers, comme toujours! Dans vingt ans, si nous avons réussi à écarter la chimère du règne, nous serons un grand peuple régénéré. Dans vingt ans, si l'Allemagne s'endort sous le sceptre, elle sera ce que nous étions hier, un peuple trompé, corrompu, désarmé.
26 septembre.
On nous dit qu'il y a de bonnes et grandes nouvelles. Nous n'y croyons pas. Ces pays éloignés de la scène sont comme les troisièmes dessous d'un théatre, où le signal qui doit avertir les machinistes ne résonnerait plus. Paris investi, les lignes télégraphiques coupées, nous sommes plus loin de l'action que l'Amérique. Mes enfants et nos amis s'en vont à trois lieues d'ici pour savoir si quelque dépêche est arrivée. Je reste seule à la maison; il y a une bibliothèque de vieux livres de droit et de médecine. Je trouve l'ancien recueil des _Causes célèbres_. J'essaye de lire. Toutes ces histoires doivent être intéressantes quand on a l'esprit libre. Dans la disposition où est le mien, je ne saurais rien juger; de plus il me semble que juger sans appel est impossible à tous les points de vue, et que tous ces grands procès jugés ne condamnent personne au tribunal de l'avenir. Peu de faits réputés authentiques sont absolument prouvés, et lorsque la torture était un moyen d'arracher la vérité, les aveux ne prouvaient absolument rien; mais je ne m'arrête pas aux causes tragiques. Ces épisodes de la vie humaine paraissent si petits quand tout est drame vivant et tragédie sanglante dans le monde! Je cherche quelque intérêt dans les causes civiles rapportées dans ce recueil: des enfants méconnus, désavoués, qui forcent leurs parents à les reconna?tre ou qui parviennent à se faire attribuer leur héritage; des personnages disparus qui reparaissent et réussissent ou ne réussissent pas à recouvrer leur état civil, les uns condamnés comme imposteurs, les autres réintégrés dans leurs noms et dans leurs biens; des arrêts rendus pour et contre dans les mêmes causes, des témoignages qui se contredisent, des faits qui, dans l'esprit du lecteur, disent en même temps oui et non: où est la vérité dans ces aventures romanesques, souvent invraisemblables à force d'être inexplicables? Où est l'impartialité possible quand c'est quelquefois le méchant qui semble avoir raison du doux et du faible? Où est la certitude pour le magistrat? A-t-elle pu exister pour lui, quand la postérité impartiale ne démêle pas, au milieu de ces détails minutieux, le mensonge de la vérité?
Les enquêtes réciproques sont suscitées par la passion; elles dévoilent ou inventent tant de turpitudes chez les deux parties qu'on arrive à ne rien croire ou à ne s'intéresser à personne. Cette lecture ne me porte pas à rechercher le réalisme dans l'art, non pas tant à cause du manque d'intérêt du réel qu'à cause de l'invraisemblance. Il est étrange que les choses arrivées soient généralement énigmatiques. Les actions sont presque toujours en raison inverse des caractères. Toute la logique humaine est annulée quand, au lieu de s'élever au-dessus des intérêts matériels, l'homme fait de ces intérêts le mobile absolu de sa conduite. Il tombe alors sous la loi du hasard, car il appartient à des éventualités qui ne lui appartiennent pas, et si sa destinée est folle et bizarre, il semble devenir bizarre et fou lui-même.
Les nouvelles d'hier, c'est la démarche de Jules Favre auprès de M. de Bismarck. De quelque fa?on qu'on juge cette démarche au point de vue pratique, elle est noble et humaine, elle a un caractère de sincérité touchante. Nous en sommes émus, et nos coeurs repoussent avec le sien la paix honteuse qui nous est offerte.
Ce n'est pas l'avis de tout le monde.
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