Journal des Goncourt (Premier Volume) | Page 6

Edmond de Goncourt
qu'on ne dirait jamais s'ouvrir. Le mur est dépassé par un toit de maison et par des cimes de marronniers étêtés, au milieu desquels s'élève un petit batiment carré,--une glacière surmontée d'une statue de platre tout écaillée: LA FRILEUSE d'Houdon.
Dans ce mur fruste, une porte à la sonnette de tirage cassée, dont le tintement grêle éveille l'aboiement de gros chiens de montagne. On est long à venir ouvrir; à la fin, un domestique appara?t et nous conduit à un petit atelier dans le jardin, éclairé par le haut et tout souriant. C'est là que nous faisons notre première visite à Gavarni.
Il nous promène dans sa maison dont il nous raconte l'histoire: un ancien atelier de faux-monnoyeurs sous le Directoire, devenu la propriété du fameux Leroy, le modiste de Joséphine, qui utilisa la chambre de fer où l'on avait fabriqué la fausse monnaie à serrer les manteaux de Napoléon, brodés d'abeilles d'or. Il nous fait traverser les grandes pièces du rez-de-chaussée, décorées de peintures sur les murs représentant des vues locales: la porte d'Auteuil en 1802.
Nous parcourons avec lui toute la maison et les interminables corridors du second étage, où d'anciens costumes de carnaval, mal emballés, s'échappent et ressortent de cartons à chapeaux de femmes.
Nous redescendons dans sa chambre, où près d'un petit lit de fer étroit, --une couche d'ascète,--il y a sur la table de nuit un couteau en travers d'un livre ayant pour titre: LE CARTéSIANISME.
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--Tous comptes faits avec Dumineray, le seul éditeur de Paris qui, sous l'état de siège, ait osé prendre en dép?t notre pauvre EN 18.., nous avons vendu une soixantaine d'exemplaires.
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--J'ai eu, dans ma famille, un type de la fin d'un monde,--un marquis, le fils d'un ancien ministre de la monarchie.
C'était, quand je l'ai connu un beau vieillard à cheveux d'argent, rayonnant de linge blanc, ayant la grande politesse galante du gentilhomme, la mine tout à la fois bienveillante et haute, la face d'un Bourbon, la grace d'un Choiseul, et le sourire toujours jeune auprès des femmes.
Cet aimable et charmant débris de cour n'avait qu'un défaut: il ne pensait pas. De sa vie je ne l'ai jamais entendu parler d'une chose qui ne f?t pas aussi matérielle que le temps du jour ou le plat du d?ner. Il recevait et faisait relier le CHARIVARI et la MODE. Il pardonnait pourtant à la fin au gouvernement qui faisait monter la rente. Il s'enfermait pour faire des comptes avec sa cuisinière: c'était ce qu'il appelait travailler. Il avait un prie-Dieu recouvert en moquette dans sa chambre. Il avait dans son salon des meubles de la Restauration, des fauteuils en tapisserie au petit point, où était restée comme l'ombre du chapeau de la duchesse d'Angoulême. Il avait une vieille livrée, une vieille voiture, et un vieux nègre qu'il avait rapporté des colonies, où il mena joyeuse vie pendant l'émigration: ce nègre était comme un morceau du XVIIIe siècle et de sa jeunesse à c?té de lui.
Mon parent avait encore les préjugés les plus inou?s. Il croyait par exemple que les gens qui font regarder la lune, mettent dans les lorgnettes des choses qui font mal aux yeux, etc., etc.
Il allait à la messe, je?nait, faisait ses paques. A la fin du carême, le maigre l'exaspérait: alors seulement il grondait ses domestiques.
Il demeurait dans tout cet homme quelque chose d'un grand principe tombé en enfance. C'était une bête généreuse, noble, vénérable, une bête de coeur et de race.
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GAVARNIANA.
--Je hais tout ce qui est coeur imprimé, mis sur du papier.
--Je fais le bien, parce qu'il est un grand seigneur qui me paye cela,--et ce grand seigneur, c'est le plaisir de bien faire.
--Le chemin de fer et sa vitesse relative, voilà un beau progrès, si vous avez décuplé chez l'homme le désir de la vitesse!
--Gavarni disait de Dickens ?qu'il avait une vanité énorme et paralysante, peinte sur la figure.?
--Gavarni avait vu de Balzac un billet ainsi rédigé:
De chez Vachette.
Mon cher Posper (sic), viens ce soir chez Laurent-Jan, il y aura des c.... p..... bien habillées.
BALZAC.
--Quand Gavarni avait été à Bourg avec Balzac pour tacher de sauver Peytel, il était obligé de lui répéter à tout moment: ?Voyons, il s'agit d'une chose grave, Balzac, il faut être convenable pendant les quelques jours que nous sommes ici,? et il lachait le grand écrivain le moins possible. Un jour qu'il avait été obligé de le quitter deux heures, il le retrouvait sur la place où il avait accroché le sous-préfet, et lui racontait comment les petites filles s'amusent dans les pensions.
Dans ce voyage où Gavarni était obligé de veiller à la propreté de son compagnon, un jour il ne pouvait s'empêcher de lui dire:
--?Ah ?à, Balzac, pourquoi n'avez-vous pas un ami... oui, un de ces bourgeois bêtes et affectueux, comme on en
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