est un piano à vendre ou à louer, l'a en
horreur... Il n'y a que quelques peintres qui ont ce goût-là.»
... «En musique, ils en sont maintenant à un gluckisme assommant, ce
sont des choses larges, lentes, lentes, ça retourne au plain-chant... Ce
Gounod est un pur âne[1]. Il y a au second acte deux choeurs de Juives
et de Sabéennes qui caquettent auprès d'une piscine, avant de se laver le
derrière. Eh bien! c'est gentil ce choeur-là, mais voilà tout. Et la salle a
respiré et l'on a fait un ah! de soulagement, tant le reste est embêtant...
Verdi, vous me demandez ce que c'est. Eh bien! Verdi, c'est un
Dennery, un Guilbert de Pixerécourt. Vous savez, il a eu l'idée en
musique, quand les paroles étaient tristes, de faire trou trou trou au lieu
de tra tra tra. Dans un enterrement, il ne mettra pas un air de mirliton.
Rossini n'y manquerait pas. C'est lui qui, dans SÉMIRAMIDE, fait
entrer l'ombre de Ninus sur un air de valse ravissant... Voilà tout son
génie en musique, à Verdi.»
[Note 1: Mon frère et moi, avons cherché à représenter nos
contemporains en leur humanité, avons cherché surtout à rendre leur
conversation dans leur vérité pittoresque. Or la qualité caractéristique,
je dirai, la beauté de la conversation de Gautier était l'énormité du
paradoxe. C'est dire, que dans cette négation absolue de la musique,
prendre cette grosse blague injurieuse, pour le vrai jugement de
l'illustre écrivain sur le talent de M. Gounod: ce serait faire preuve de
peu d'intelligence ou d'une grande hostilité contre le sténographe de
cette boutade antimusicale.]
Alors Gautier se met à se plaindre de son temps: «C'est peut-être parce
que je commence à être un vieux. Mais enfin dans ce temps il n'y a pas
d'air. Il ne s'agit pas seulement d'avoir des ailes, il faut de l'air... Je ne
me sens plus contemporain... Oui, en 1830, c'était superbe, mais j'étais
trop jeune de deux ou trois ans. Je n'ai pas été entraîné dans le plein
courant: Je n'étais pas mûr... J'aurais produit, autre chose...»
Enfin, la causerie va sur Flaubert, sur ses procédés, sa patience, son
travail de sept ans sur un livre de 400 pages: «Figurez-vous, s'écrie
Gautier, que, l'autre jour, Flaubert me dit: «C'est fini, je n'ai plus qu'une
dizaine de pages à écrire, mais j'ai toutes mes chutes de phrases.» Ainsi,
il a déjà la musique des fins de phrases qu'il n'a pas encore faites! Il a
ses chutes, que c'est drôle, hein?... Moi, je crois qu'il faut surtout dans
la phrase un rythme oculaire. Par exemple, une phrase qui est très
longue en commençant, ne doit pas finir petitement, brusquement, à
moins d'un effet. Puis très souvent, son rythme, à Flaubert, n'est que
pour lui seul et nous échappe. Un livre n'est pas fait pour être lu à haute
voix, et lui se gueule les siens à lui-même. Or, il y a des gueuloirs dans
ses phrases qui lui semblent harmoniques, mais il faudrait lire comme
lui, pour avoir l'effet de ces gueuloirs. Nous avons des pages tous les
deux, vous dans votre VENISE, moi dans un tas de choses que tout le
monde connaît, aussi rythmées que tout ce qu'il a fait, sans nous être
donné tant de mal...
«Au fond, le pauvre garçon a un remords qui empoisonne sa vie. Ça le
mènera au tombeau. Vous ne le connaissez pas, ce remords, c'est
d'avoir accolé dans MADAME BOVARY deux génitifs, l'un sur l'autre:
Une couronne de fleurs d'oranger. Ça le désole, mais il a eu beau
chercher, il lui a été impossible de faire autrement... Voulez-vous
savoir ce qu'il y a dans la maison?»
Et il nous mène dans la salle à manger où ses filles déjeunent, puis en
haut, dans un petit atelier d'où l'on voit un jardin aux arbrisseaux
maigres, dessiné en carrés de légumes. Là, il nous montre les dons des
artistes à sa critique,--pauvres dons qui attestent toute l'avarice et la
lésinerie de ce monde de l'art envers un homme qui, pour un si grand
nombre, a bâti des piédestaux en feuilletons, et a mis de la gloire autour
de leurs noms inconnus avec le patronage de ses belles phrases et de ses
descriptions si colorées.
Des dessins de Férogio, une charmante esquisse d'Hébert, un blond
Baudry, une Nuit de Rousseau, qui est comme le «Songe d'une nuit
d'été» de Fontainebleau, des Chasseriau, des fleurs de Saint-Jean, une
Macbeth de Delacroix; enfin, deux petits tableaux de femmes nues,
dont le faire va de Devosge à Devéria,--deux tableaux du maître, chez
lequel Gautier apprit la peinture au faubourg Saint-Antoine.
* * * * *
--Je m'aperçois tristement que la littérature, l'observation, au lieu
d'émousser en moi la sensibilité, l'a étendue, raffinée, développée, mise
à nu. Cette espèce de travail
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.