seconde, il était tombé sur un
avoué de la localité, en chemise et en lunettes bleues, qui, ainsi surpris,
avait passé tout le temps de la perquisition, assis sur une chaise, le nez
dans le mur d'un angle de la pièce.
* * * * *
Lundi 3 septembre.--À tous mes retours, je ne sais quel ennui, quel
découragement me saisit, jusqu'au jour où je suis rentré dans le travail.
Aujourd'hui, je promène cette tristesse à l'Exposition, sans que la vue
de tous les bibelots rétrospectifs puissent la distraire. Au fond les
hommes d'imagination, quand ils ont quitté, un mois, leur domicile,
s'attendent, en y rentrant, à y trouver de l'imprévu heureux, et cela n'est
jamais.
* * * * *
--------En travaillant à la préface du livre de Bergerat, je m'aperçois que
tous les terribles paradoxes de Flaubert ne sortent pas de lui: ils sont de
Gautier. Flaubert n'a fait qu'adapter à ces dires énormes--prononcés par
Théo de la voix la plus douce--n'a fait qu'adapter un gueuloir à casser
les vitres.
* * * * *
--------Ce n'est pas la quantité de temps, ainsi qu'on le croit
généralement, qui fait la supériorité d'une oeuvre, c'est la qualité de la
fièvre qu'on se donne pour la faire. Puis, qu'est-ce que fait une
répétition ou une négligence de syntaxe, si la création est neuve, si la
conception est originale, s'il y a, ici et là, une épithète ou un tour de
phrase, qui vaille à lui seul, cent pages d'une prose impeccable, qualité
ordinaire.
* * * * *
Jeudi 12 septembre.--Saint-Cloud, où je vais étudier les saltimbanques
pour mon roman.
Un vrai Gavarni. Au milieu d'une pelouse, autour d'une serviette, où il
y a deux assiettes et une bouteille de vin, deux femmes couchées tout
de leur long, et fumant des cigarettes: l'une reposant sur la paume d'une
main; l'autre allongée sur le dos, avec les deux mains entrelacées sous
la nuque, et lançant au ciel des bouffées de fumée.
* * * * *
--------En ces rues à l'intersection brutale, par ces clartés aveuglantes du
nouvel éclairage, au milieu du charabia de toutes les bouches étrangères,
Paris ne me semble plus mon Paris. Il me fait l'effet d'une ville libre,
hantée et habitée par tous les galoupiats de l'Europe.
* * * * *
Vendredi 13 septembre.--Ce matin, j'ai reçu la visite d'une Russe très
distinguée, d'une comtesse Tolstoï, d'une cousine de l'écrivain, qui avait
fait demander le bonheur de voir l'auteur de RENÉE MAUPERIN.
Mon père ne prévoyait guère, quand il faisait la campagne de Russie,
une épaule cassée à la bataille de la Moskova, et qu'un peloton de
cosaques passant comme une trombe, le forçait à finir un morceau de
cheval sur le toit d'une habitation, en faisant le coup de pistolet, mon
père ne prévoyait guère que son fils serait un jour apprécié par une
compatriote de ces cosaques.
* * * * *
--------Littré disait à un de mes amis: «La terre est une planète
inférieure, et l'homme un composé mal assemblé.»
* * * * *
Jeudi 19 septembre.--Dans les petits objets manuels, fabriqués
anciennement par les Japonais, on sent qu'ils travaillaient pour des
touchers délicats, pour des tacts d'artistes. Et c'est curieux, quand on
pense que ces objets étaient généralement fabriqués dans un burg
(yashki), sous la direction, l'encouragement de l'oeil guerrier du
propriétaire, tandis que nos burgraves d'Europe n'ont jamais été que de
grossiers barbares.
Ce soir, conversation sur les mauvaises odeurs des pieds, du nez, de la
bouche: conversation dans laquelle se complaît et s'épanouit Flaubert.
Il raconte longuement, voluptueusement, l'anecdote d'un punais, du nez
duquel tombe une viscosité, une sépia, qui force le docteur Trousseau à
quitter son cabinet, et à n'y rentrer que le lendemain. Et comme bouquet
de la fin, il narre l'histoire d'un pessaire retiré, au bout de dix-sept ans,
par son père, du ventre d'une marchande de poissons, et dont l'infection
était telle, que trois internes de l'hôpital de Rouen tombaient évanouis
sur le cul.
* * * * *
Samedi 21 septembre.--Flaubert, à la condition de lui abandonner les
premiers rôles, et de se laisser enrhumer par les fenêtres, qu'il ouvre à
tout moment, est un très agréable compagnon. Il a une bonne gaîté et
un rire d'enfant qui sont contagieux, et dans le contact de la vie de tous
les jours, se développe, en lui, une grosse affectuosité, qui n'est pas
sans charme.
* * * * *
Dimanche 22 septembre.--Ce matin, Meada, commissaire général du
Japon à l'Exposition universelle de Paris, est arrivé à Saint-Gratien,
accompagné de deux jardiniers de ses compatriotes, portant dans des
morceaux de soie jaune, des instruments de jardinage, bizarres,
hétéroclites. On a été au fond du potager. Les deux Japonais ont brisé la
terre d'un carré, et ont semé des radis,
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