Jim Harrison, boxeur | Page 9

Sir Arthur Conan Doyle
ainsi qu'il les dénommait) en les faisant
cuire sur du feu que l'on obtiendrait par le frottement de deux bâtons, le
coeur me manqua et je retournai auprès de ma mère.
Quant à Jim, il tint bon pendant toute une longue et maussade semaine,
et au bout de ce temps, il revint l'air plus sauvage et plus sale que son
héros, tel qu'on le voit dans les livres à images.
Heureusement, il n'avait parlé que de tenir une semaine, car s'il s'était
agi d'un mois, il serait mort de froid et de faim, avant que son orgueil
lui permît de retourner à la maison.
L'orgueil! C'était là le fond de la nature de Jim. À mes yeux, c'était un
attribut mixte, moitié vertu, moitié vice. Une vertu, en ce qu'il
maintient un homme au-dessus de la fange, un vice, en ce qu'il lui rend
le relèvement difficile quand il est une fois déchu.
Jim était orgueilleux jusque dans la moelle des os.
Vous vous rappelez la guinée que le jeune Lord lui avait jetée du haut
de son siège. Deux jours après, quelqu'un la ramassa dans la boue au
bord de la route.
Jim seul avait vu à quel endroit elle était tombée et il n'avait même pas
daigné la montrer du doigt à un mendiant.
Il ne s'abaissait pas davantage à donner une explication en semblable
circonstance. Il répondait à toutes les remontrances par une moue des
lèvres et un éclair dans ses yeux noirs.
Même à l'école, il était tout pareil. Il se montrait si convaincu de sa
dignité, qu'il imposait aux autres sa conviction.
Il pouvait dire, par exemple, et il le dit, qu'un angle droit était un angle
qui avait le caractère droit, ou bien mettre Panama en Sicile. Mais le
vieux Joshua Allen n'aurait pas plus songé à lever sa canne contre lui
qu'à la laisser tomber sur moi si j'avais dit quelque chose de ce genre.

C'était ainsi. Bien que Jim ne fût le fils de personne, et que je fusse le
fils d'un officier du roi, il me parut toujours qu'il avait montré de la
condescendance en me prenant pour ami.
Ce fut cet orgueil du petit Jim qui nous engagea dans une aventure à
laquelle je ne puis songer sans un frisson.
La chose arriva en août 1799, ou peut-être bien dans les premiers jours
de septembre, mais je me rappelle que nous entendions le coucou dans
le bois de Patcham et que, d'après Jim, c'était sans doute pour la
dernière fois.
C'était ma demi-journée de congé du samedi et nous la passâmes sur les
dunes, comme nous faisions souvent.
Notre retraite favorite était au-delà de Wolstonbury, où nous pouvions
nous vautrer sur l'herbe élastique, moelleuse, des calcaires, parmi les
petits moutons de la race Southdown, tout en causant avec les bergers
appuyés sur leurs bizarres houlettes à la forme antique de crochet,
datant de l'époque où le Sussex avait plus de fer que tous les autres
comtés de l'Angleterre.
C'était là que nous étions venus nous allonger dans cette superbe soirée.
S'il nous plaisait de nous rouler sur le côté gauche, nous avions devant
nous tout le Weald, avec les dunes du Nord se dressant en courbes
verdâtres et montrant çà et là une fente blanche comme la neige,
indiquant une carrière de pierre à chaux.
Si nous nous retournions de l'autre côté, notre vue s'étendait sur la vaste
surface bleue du Canal.
Un convoi, je m'en souviens bien, arrivait ce jour même.
En tête, venait la troupe craintive des navires marchands. Les frégates,
pareilles à des chiens bien dressés, gardaient les flancs et deux
vaisseaux de haut bord, aux formes massives, roulaient à l'arrière.
Mon imagination planait sur les eaux, à la recherche de mon père,
quand un mot de Jim la ramena sur l'herbe, comme une mouette qui a
l'aile brisée.
-- Roddy, dit-il, vous avez entendu dire que la Falaise royale est hantée!
Si je l'avais entendu dire? Mais oui, naturellement. Y avait-il dans tout
le pays des Dunes un seul homme qui n'eût pas entendu parler du
promeneur de la Falaise royale?
-- Est-ce que vous en connaissez l'histoire, Roddy?
-- Mais certainement, dis-je, non sans fierté. Je dois bien la savoir

puisque le père de ma mère, sir Charles Tregellis, était l'ami intime de
Lord Avon et qu'il assistait à cette partie de cartes, quand la chose
arriva. J'ai entendu le curé et ma mère en causer la semaine dernière et
tous les détails me sont présents à l'esprit comme si j'avais été là quand
le meurtre fut commis.
-- C'est une histoire étrange, dit Jim, d'un air pensif. Mais quand j'ai
interrogé ma tante à ce sujet, elle n'a pas voulu me répondre. Quant à
mon oncle, il m'a coupé la parole dès les premiers mots.
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