Jim Harrison, boxeur | Page 8

Sir Arthur Conan Doyle
que
tous ses camarades.
-- Nous vous laissons aller pour cette fois, Harrison, dit-il. Sont-ce là
vos fils?
-- Celui-ci est mon neveu, maître.
-- Voici une guinée pour lui. Il ne pourra pas dire que je l'aie privé de
son oncle.
Et ayant mis ainsi les rieurs de son côté par la façon gaie de prendre les
choses, il fit claquer son fouet et l'on partit à fond de train pour faire en
moins de cinq heures le trajet de Londres, tandis que Harrison, son fer
non achevé à la main, rentrait chez lui en sifflant.
II -- LE PROMENEUR DE LA FALAISE ROYALE
Tel était donc le champion Harrison.
Il faut maintenant que je dise quelques mots du petit Jim, non
seulement parce qu'il fut mon compagnon de jeunesse, mais parce qu'en
avançant dans la lecture de ce livre, vous vous apercevrez que c'est son
histoire encore plus que la mienne et qu'il arriva un temps où son nom
et sa réputation furent sur les lèvres de tout le peuple anglais.
Vous prendrez donc votre parti de m'entendre vous exposer son
caractère, tel qu'il était à cette époque, et particulièrement vous raconter
une aventure très singulière qui n'est pas de nature à s'effacer jamais de
notre mémoire à tous deux.
On était bien surpris en voyant Jim avec son oncle et sa tante, car il
avait l'air d'appartenir à une race, à une famille bien différentes de la
leur.
Souvent, je les ai suivis des yeux quand ils longeaient les bas- côtés de
l'église le dimanche, tout d'abord l'homme aux épaules carrées, aux
formes trapues, puis la petite femme à la physionomie et aux regards
soucieux et enfin ce bel adolescent aux traits accentués, aux boucles

noires, dont le pas était si élastique et si léger qu'il ne paraissait tenir à
la terre que par un lien plus mince que les villageois à la lourde allure
dont il était entouré.
Il n'avait point encore atteint ses six pieds de hauteur, mais pour peu
qu'on se connût en hommes (et toutes les femmes au moins s'y
entendent) il était impossible de voir ses épaules parfaites, ses hanches
étroites, sa tête fière posée sur son cou, comme un aigle sur son
perchoir, sans éprouver cette joie tranquille que nous donnent toutes les
belles choses de la nature, cette sorte de satisfaction de soi que l'on
ressent, en leur présence, comme si l'on avait contribué à leur création.
Mais nous avons l'habitude d'associer la beauté chez un homme avec la
mollesse.
Je ne vois aucune raison à cette association d'idées; en tout cas, la
mollesse n'apparut jamais chez Jim.
De tous les hommes que j'ai connus, il n'en est aucun dont le coeur et
l'esprit rappelassent davantage la dureté du fer.
En était-il un seul parmi nous qui fût capable d'aller de son pas ou de le
suivre, soit à la course, soit à la nage?
Qui donc, dans toute la campagne des environs, aurait osé se pencher
par-dessus l'escarpement de Wolstonbury et descendre jusqu'à cent
pieds du bord, pendant que la femelle du faucon battait des ailes à ses
oreilles, en de vains efforts, pour l'écarter de son nid.
Il n'avait que seize ans et ses cartilages ne s'étaient pas encore ossifiés,
quand il se battit victorieusement avec Lee le Gypsy, de Burgess Hill,
qui s'était donné le surnom de Coq des dunes du sud.
Ce fut après cela que le champion Harrison entreprit de lui donner des
leçons régulières de boxe.
-- J'aimerais autant que vous renonciez à la boxe, petit Jim, dit- il, et
madame est de mon avis, mais puisque vous tenez à mordre, ce ne sera
pas ma faute si vous ne devenez pas capable de tenir tête à n'importe
qui du pays du sud.
Et il ne mit pas longtemps à tenir sa promesse.
J'ai déjà dit que le petit Jim n'aimait guère ses livres, mais par là
j'entendais des livres d'école, car dès qu'il s'agissait de romans de
n'importe quel sujet qui touchait de près ou de loin aux aventures, à la
galanterie, il était impossible de l'en arracher, avant qu'il eût fini.
Lorsqu'un livre de cette sorte lui tombait entre les mains, Friar's Oak et

la forge n'étaient plus pour lui qu'un rêve et sa vie se passait à parcourir
l'Océan, à errer sur les vastes continents, en compagnie des héros du
romancier.
Et il m'entraînait à partager ses enthousiasmes, si bien que je fus
heureux de me faire le Vendredi de ce _Crusoé_, quand il décida que le
petit bois de Clayton était une île déserte et que nous y étions jetés pour
une semaine.
Mais lorsque je m'aperçus qu'il s'agissait de coucher en plein air, sans
abri, toutes les nuits, et qu'il proposa de nous nourrir de moutons des
dunes, (de chèvres sauvages,
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