Jim Harrison, boxeur | Page 4

Sir Arthur Conan Doyle
amis, il peut se faire que vous contractiez plus d'un
mariage, mais votre mère est la première et la dernière amie.
Chérissez-la donc, pendant que vous le pouvez, car le jour viendra où
tout acte irraisonné, où toute parole jetée avec insouciance, reviendra
en arrière se planter comme un aiguillon dans votre coeur. Telle était
donc ma mère, et quant à mon père, la meilleure occasion pour faire

son portrait, c'est l'époque où il nous revint de la Méditerranée.
Pendant toute mon enfance, il n'avait été pour moi qu'un nom et une
figure dans une miniature que ma mère portait suspendue à son cou.
Dans les débuts, on me dit qu'il combattait contre les Français.
Quelques années plus tard, il fut moins souvent question de Français et
on parla plus souvent du général Bonaparte.
Je me rappelle avec quelle frayeur respectueuse je regardai à la
boutique d'un libraire de Portsmouth la figure du Grand Corse.
C'était donc là l'ennemi par excellence, celui que mon père avait
combattu toute sa vie, en une lutte terrible et sans trêve.
Pour mon imagination d'enfant, c'était une affaire d'honneur d'homme à
homme, et je me représentais toujours mon père et cet homme rasé de
près, aux lèvres minces, aux prises, chancelant, roulant dans un corps à
corps furieux qui durait des années.
Ce fut seulement après mon entrée à l'école de grammaire que je
compris combien il y avait de petits garçons dont les pères étaient dans
le même cas.
Une fois seulement, au cours de ces longues années, mon père revint à
la maison.
Par là, vous voyez ce que c'était d'être la femme d'un marin en ce
temps-là.
C'était aussitôt après que nous eûmes quitté Portsmouth pour nous
établir à Friar's Oak qu'il vint passer huit jours avant de s'embarquer
avec l'amiral Jervis pour l'aider à gagner son nouveau nom de Lord
Saint-Vincent.
Je me rappelle qu'il me causa autant d'effroi que d'admiration par ses
récits de batailles et je me souviens, comme si c'était d'hier, de
l'épouvante que j'éprouvai en voyant une tache de sang sur la manche
de sa chemise, tache qui, je n'en doute point, provenait d'un mouvement
maladroit fait en se rasant.
À cette époque je restai convaincu que ce sang avait jailli du corps d'un
Français ou d'un Espagnol, et je reculai de terreur devant lui, quand il
posa sa main calleuse sur ma tête.
Ma mère pleura amèrement après son départ.
Quant à moi, je ne fus pas fâché de voir son dos bleu et ses culottes
blanches s'éloigner par l'allée du jardin, car je sentais, en mon
insouciance et mon égoïsme d'enfant, que nous étions plus près l'un de

l'autre, quand nous étions ensemble, elle et moi.
J'étais dans ma onzième année quand nous quittâmes Portsmouth, pour
Friar's Oak, petit village du Sussex, au nord de Brighton, qui nous fut
recommandé par mon oncle, Sir Charles Tregellis.
Un de ses amis intimes, Lord Avon, possédait sa résidence près de là.
Le motif de notre déménagement, c'était qu'on vivait à meilleur marché
à la campagne, et qu'il serait plus facile pour ma mère de garder les
dehors d'une dame, quand elle se trouverait à distance du cercle des
personnes qu'elle ne pourrait se refuser à recevoir
C'était une époque d'épreuves pour tout le monde, excepté pour les
fermiers. Ils faisaient de tels bénéfices qu'ils pouvaient, à ce que j'ai
entendu dire, laisser la moitié de leurs terres en jachère, tout en vivant
comme des gentlemen de ce que leur rapportait le reste.
Le blé se vendait cent dix shillings le quart, et le pain de quatre livres
un shilling neuf pences.
Nous aurions eu grand peine à vivre, même dans le paisible cottage de
Friar's Oak sans la part de prises revenant à l'escadre de blocus sur
laquelle servait mon père.
La ligne de vaisseaux de guerre louvoyant au large de Brest n'avait
guère que de l'honneur à gagner. Mais les frégates qui les
accompagnaient firent la capture d'un bon nombre de navires caboteurs,
et, comme conformément aux règles de service elles étaient considérées
comme dépendant de la flotte, le produit de leurs prises était réparti au
marc le franc.
Mon père fut ainsi a même d'envoyer à la maison des sommes
suffisantes pour faire vivre le cottage et payer mon séjour à l'école que
dirigeait Mr Joshua Allen.
J'y restai quatre ans et j'appris tout ce qu'il savait.
Ce fut à l'école d'Allen que je fis la connaissance de Jim Harrison, du
petit Jim, comme on la toujours appelé. Il était le neveu du champion
Harrison, de la forge du village.
Je me le rappelle encore, tel qu'il était en ce temps-là, avec ses grands
membres dégingandés, aux mouvements maladroits comme ceux d'un
petit terre-neuve, et une figure qui faisait tourner la tête à toutes les
femmes
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