tempête et d'un bon feu qui me protégeait contre le froid qui faisait craquer les pierres des murs de ma maison. On frappa à ma porte, mais j'hésitais à ouvrir. Je craignais que ce ne f?t quelque voleur, qui sachant mes richesses, ne vint pour me piller, et qui sait, peut-être m'assassiner.
Je fis la sourde oreille et après quelques instants, les coups cessèrent. Je m'endormis bient?t, pour ne me réveiller que le lendemain au grand jour, au bruit infernal que faisaient deux jeunes hommes du voisinage qui ébranlaient ma porte à grands coups de pied. Je me levais à la hate pour aller les chatier de leur impudence, quand j'aper?us en ouvrant la porte, le corps inanimé d'un jeune homme qui était mort de froid et de misère sur le seuil de ma maison. J'avais, par amour pour mon or, laissé mourir un homme qui frappait à ma porte, et j'étais presque un assassin. Je devins fou de douleur et de repentir.
Après avoir fait chanter un service solennel pour le repos de l'ame du malheureux, je divisai ma fortune entre les pauvres des environs, en priant Dieu d'accepter ce sacrifice en expiation du crime que j'avais commis. Deux ans plus tard, je fus br?lé vif dans ma maison et je dus aller rendre compte à mon créateur de ma conduite sur cette terre que j'avais quittée d'une manière si tragique. Je ne fus pas trouvé digne du bonheur des élus et je fus condamné à revenir à la veille de chaque nouveau jour de l'an, attendre ici qu'un voyageur vint frapper à ma porte, afin que je pusse lui donner cette hospitalité que j'avais refusée de mon vivant à l'un de mes semblables. Pendant cinquante hivers, je suis venu, par l'ordre de Dieu, passer ici la nuit du dernier jour de chaque année, sans que jamais un voyageur dans la détresse ne vint frapper à ma porte. Vous êtes enfin venu ce soir, et Dieu m'a pardonné. Soyez à jamais béni d'avoir été la cause de ma délivrance des flammes du purgatoire, et croyez que quoi qu'il vous arrive ici-bas, je prierai Dieu pour vous là-haut.
Le revenant, car c'en était un, parlait encore quand, succombant aux émotions terribles de frayeur et d'étonnement qui m'agitaient, je perdis connaissance...
Je me réveillai dans mon brelot, sur le chemin du roi, vis-à-vis l'église de Lavaltrie.
La tempête s'était apaisée et j'avais sans doute, sous la direction de mon h?te de l'autre monde, repris la route de Lanoraie.
Je tremblais encore de frayeur quand j'arrivai ici à une heure du matin, et que je racontai aux convives assemblés, la terrible aventure qui m'était arrivée.
Mon défunt père,--que Dieu ait pitié de son ame--nous fit mettre à genoux, et nous récitames le rosaire, en reconnaissance de la protection spéciale dont j'avais été trouvé digne, pour faire sortir ainsi des souffrances du purgatoire une ame en peine qui attendait depuis si longtemps sa délivrance. Depuis cette époque, jamais nous n'avons manqué, mes enfants, de réciter à chaque anniversaire de ma mémorable aventure, un chapelet en l'honneur de la vierge Marie, pour le repos des ames des pauvres voyageurs qui sont exposés au froid et à la tempête.
Quelques jours plus tard, en visitant Saint-Sulpice, j'eus l'occasion de raconter mon histoire au curé de cette paroisse. J'appris de lui que les registres de son église faisaient en effet mention de la mort tragique d'un nommé Jean-Pierre Beaudry, dont les propriétés étaient alors situées où demeure maintenant le petit Pierre Sansregret. Quelques esprits forts ont prétendu que j'avais rêvé sur la route. Mais où avais-je donc appris les faits et les noms qui se rattachaient à l'incendie de la ferme du défunt Beaudry, dont je n'avais jusqu'alors jamais entendu parler. M. le curé de Lanoraie, à qui je confiai l'affaire, ne voulut rien en dire, si ce n'est que le doigt de Dieu était en toutes choses et que nous devions bénir son saint nom.
Le ma?tre d'école avait cessé de parler depuis quelques moments, et personne n'avait osé rompre le silence religieux avec lequel on avait écouté le récit de cette étrange histoire. Les jeunes filles émues et craintives se regardaient timidement sans oser faire un mouvement, et les hommes restaient pensifs en réfléchissant à ce qu'il y avait d'extraordinaire et de merveilleux dans cette apparition surnaturelle du vieil avare, cinquante ans après son trépas.
Le père Montépel fit enfin trêve à cette position gênante en offrant à ses h?tes une dernière rasade de bonne eau-de-vie de la Jama?que, en l'honneur du retour heureux des voyageurs.
On but cependant cette dernière santé avec moins d'entrain que les autres, car l'histoire du ma?tre d'école avait touché la corde sensible dans le coeur du paysan franco-canadien: la croyance à tout ce qui touche aux histoires surnaturelles et aux revenants.
Après avoir salué cordialement le ma?tre et la ma?tresse
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.