une masure à demi ensevelie dans la neige et que je ne me rappelais pas avoir encore vue. Je me dirigeai en me frayant avec peine un passage dans les bancs de neige vers cette maison que je crus tout d'abord abandonnée. Je me trompais cependant; la porte en était fermée, mais je pus apercevoir par la fenêtre la lueur rougeatre d'un bon feu de ?bois franc? qui br?lait dans l'atre. Je frappai et j'entendis aussit?t les pas d'une personne qui s'avan?ait pour m'ouvrir. Au ?qui est là?? traditionnel, je répondis en grelottant que j'avais perdu ma route, et j'eus le plaisir immédiat d'entendre mon interlocuteur lever le loquet. Il n'ouvrit la porte qu'à moitié, pour empêcher autant que possible le froid de pénétrer dans l'intérieur, et j'entrai en secouant mes vêtements qui étaient couverts d'une couche épaisse de neige.
--Soyez le bienvenu, me dit l'h?te de la masure en me tendant une main qui me parut br?lante, et en m'aidant à me débarrasser de ma ceinture fléchée et de mon capot d'étoffe du pays.
Je lui expliquai en peu de mots la cause de ma visite, et après l'avoir remercié de son accueil bienveillant, et après avoir accepté un verre d'eau de vie qui me réconforta, je pris place sur une chaise boiteuse qu'il m'indiqua de la main au coin du foyer. Il sortit, en me disant qu'il allait sur la route quérir mon cheval et ma voiture, pour les mettre sous une remise, à l'abri de la tempête.
Je ne pus m'empêcher de jeter un regard curieux sur l'ameublement original de la pièce où je me trouvais. Dans un coin, un misérable banc-lit sur lequel était étendue une peau de buffle, devait servir de couche au grand vieillard aux épaules vo?tées qui m'avait ouvert la porte. Un ancien fusil, datant probablement de la domination fran?aise, était accroché aux soliveaux en bois brut qui soutenaient le toit en chaume de la maison. Plusieurs têtes de chevreuils, d'ours et d'orignaux étaient suspendues comme trophées de chasse aux murailles blanchies à la chaux. Près du foyer, une b?che de chêne solitaire semblait être le seul siège vacant que le ma?tre de céans e?t à offrir au voyageur qui, par hasard, frappait à sa porte pour lui demander l'hospitalité.
Je me demandai quel pouvait être l'individu qui vivait ainsi en sauvage en pleine paroisse de Saint-Sulpice, sans que j'en eusse jamais entendu parler? Je me torturai en vain la tête, moi qui connaissais tout le monde, depuis Lanoraie jusqu'à Montréal, mais je n'y voyais goutte. Sur ces entrefaites, mon h?te rentra et vint, sans dire mot, prendre place vis-à-vis de moi, à l'autre coin de l'atre.
--Grand merci de vos bons soins, lui dis-je, mais voudriez-vous bien m'apprendre à qui je dois une hospitalité aussi franche. Moi qui connais la paroisse de Saint-Sulpice comme mon ?pater?, j'ignorais jusqu'aujourd'hui qu'il y e?t une maison située à l'endroit qu'occupe la v?tre, et votre figure m'est inconnue.
En disant ces mots, je le regardai en face, et j'observai pour la première fois les rayons étranges que produisaient les yeux de mon h?te; on aurait dit les yeux d'un chat sauvage. Je reculai instinctivement mon siège en arrière, sous le regard pénétrant du vieillard qui me regardait en face, mais qui ne me répondait pas.
Le silence devenait fatigant, et mon h?te me fixait toujours de ses yeux brillants comme les tisons du foyer.
Je commen?ais à avoir peur.
Rassemblant tout mon courage, je lui demandai de nouveau son nom. Cette fois, ma question eut pour effet de lui faire quitter son siège. Il s'approcha de moi à pas lents, et posant sa main osseuse sur mon épaule tremblante, il me dit d'une voix triste comme le vent qui gémissait dans la cheminée:
Jeune homme, tu n'as pas encore vingt ans, et tu demandes comment il se fait que tu ne connaisses pas Jean-Pierre Beaudry, jadis le richard du village. Je vais te le dire, car ta visite ce soir me sauve des flammes du purgatoire où je br?le depuis cinquante ans, sans avoir jamais pu jusqu'aujourd'hui remplir la pénitence que Dieu m'avait imposée. Je suis celui qui jadis, par un temps comme celui-ci, avait refusé d'ouvrir sa porte à un voyageur épuisé par le froid, la faim et la fatigue.
Mes cheveux se hérissaient, mes genoux s'entrechoquaient, et je tremblais comme la feuille du peuplier pendant les fortes brises du nord. Mais, le vieillard sans faire attention à ma frayeur, continuait toujours d'une voix lente:
Il y a de cela cinquante ans. C'était bien avant que l'Anglais e?t jamais foulé le sol de ta paroisse natale. J'étais riche, bien riche, et je demeurais alors dans la maison où je te re?ois, ici, ce soir. C'était la veille du jour de l'an, comme aujourd'hui, et seul près de mon foyer, je jouissais du bien-être d'un abri contre la
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