Jeanne la Fileuse | Page 9

Honoré Beaugrand
temp��te et d'un bon feu qui me prot��geait contre le froid qui faisait craquer les pierres des murs de ma maison. On frappa �� ma porte, mais j'h��sitais �� ouvrir. Je craignais que ce ne f?t quelque voleur, qui sachant mes richesses, ne vint pour me piller, et qui sait, peut-��tre m'assassiner.
Je fis la sourde oreille et apr��s quelques instants, les coups cess��rent. Je m'endormis bient?t, pour ne me r��veiller que le lendemain au grand jour, au bruit infernal que faisaient deux jeunes hommes du voisinage qui ��branlaient ma porte �� grands coups de pied. Je me levais �� la hate pour aller les chatier de leur impudence, quand j'aper?us en ouvrant la porte, le corps inanim�� d'un jeune homme qui ��tait mort de froid et de mis��re sur le seuil de ma maison. J'avais, par amour pour mon or, laiss�� mourir un homme qui frappait �� ma porte, et j'��tais presque un assassin. Je devins fou de douleur et de repentir.
Apr��s avoir fait chanter un service solennel pour le repos de l'ame du malheureux, je divisai ma fortune entre les pauvres des environs, en priant Dieu d'accepter ce sacrifice en expiation du crime que j'avais commis. Deux ans plus tard, je fus br?l�� vif dans ma maison et je dus aller rendre compte �� mon cr��ateur de ma conduite sur cette terre que j'avais quitt��e d'une mani��re si tragique. Je ne fus pas trouv�� digne du bonheur des ��lus et je fus condamn�� �� revenir �� la veille de chaque nouveau jour de l'an, attendre ici qu'un voyageur vint frapper �� ma porte, afin que je pusse lui donner cette hospitalit�� que j'avais refus��e de mon vivant �� l'un de mes semblables. Pendant cinquante hivers, je suis venu, par l'ordre de Dieu, passer ici la nuit du dernier jour de chaque ann��e, sans que jamais un voyageur dans la d��tresse ne vint frapper �� ma porte. Vous ��tes enfin venu ce soir, et Dieu m'a pardonn��. Soyez �� jamais b��ni d'avoir ��t�� la cause de ma d��livrance des flammes du purgatoire, et croyez que quoi qu'il vous arrive ici-bas, je prierai Dieu pour vous l��-haut.
Le revenant, car c'en ��tait un, parlait encore quand, succombant aux ��motions terribles de frayeur et d'��tonnement qui m'agitaient, je perdis connaissance...
Je me r��veillai dans mon brelot, sur le chemin du roi, vis-��-vis l'��glise de Lavaltrie.
La temp��te s'��tait apais��e et j'avais sans doute, sous la direction de mon h?te de l'autre monde, repris la route de Lanoraie.
Je tremblais encore de frayeur quand j'arrivai ici �� une heure du matin, et que je racontai aux convives assembl��s, la terrible aventure qui m'��tait arriv��e.
Mon d��funt p��re,--que Dieu ait piti�� de son ame--nous fit mettre �� genoux, et nous r��citames le rosaire, en reconnaissance de la protection sp��ciale dont j'avais ��t�� trouv�� digne, pour faire sortir ainsi des souffrances du purgatoire une ame en peine qui attendait depuis si longtemps sa d��livrance. Depuis cette ��poque, jamais nous n'avons manqu��, mes enfants, de r��citer �� chaque anniversaire de ma m��morable aventure, un chapelet en l'honneur de la vierge Marie, pour le repos des ames des pauvres voyageurs qui sont expos��s au froid et �� la temp��te.
Quelques jours plus tard, en visitant Saint-Sulpice, j'eus l'occasion de raconter mon histoire au cur�� de cette paroisse. J'appris de lui que les registres de son ��glise faisaient en effet mention de la mort tragique d'un nomm�� Jean-Pierre Beaudry, dont les propri��t��s ��taient alors situ��es o�� demeure maintenant le petit Pierre Sansregret. Quelques esprits forts ont pr��tendu que j'avais r��v�� sur la route. Mais o�� avais-je donc appris les faits et les noms qui se rattachaient �� l'incendie de la ferme du d��funt Beaudry, dont je n'avais jusqu'alors jamais entendu parler. M. le cur�� de Lanoraie, �� qui je confiai l'affaire, ne voulut rien en dire, si ce n'est que le doigt de Dieu ��tait en toutes choses et que nous devions b��nir son saint nom.
Le ma?tre d'��cole avait cess�� de parler depuis quelques moments, et personne n'avait os�� rompre le silence religieux avec lequel on avait ��cout�� le r��cit de cette ��trange histoire. Les jeunes filles ��mues et craintives se regardaient timidement sans oser faire un mouvement, et les hommes restaient pensifs en r��fl��chissant �� ce qu'il y avait d'extraordinaire et de merveilleux dans cette apparition surnaturelle du vieil avare, cinquante ans apr��s son tr��pas.
Le p��re Mont��pel fit enfin tr��ve �� cette position g��nante en offrant �� ses h?tes une derni��re rasade de bonne eau-de-vie de la Jama?que, en l'honneur du retour heureux des voyageurs.
On but cependant cette derni��re sant�� avec moins d'entrain que les autres, car l'histoire du ma?tre d'��cole avait touch�� la corde sensible dans le coeur du paysan franco-canadien: la croyance �� tout ce qui touche aux histoires surnaturelles et aux revenants.
Apr��s avoir salu�� cordialement le ma?tre et la ma?tresse
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