cousin qu'il connaissait peu et qu'il n'aimait guère.
[Illustration: Jeannot le suivait avec peine, pleurnichait.]
«Je suis sûr que Simon ne va pas vouloir s'occuper de moi, pensa-t-il; il
ne songera qu'à Jean, il ne se rendra utile qu'à Jean, et moi je resterai
dans un coin, sans que personne veuille bien se charger de me placer....
Que je suis donc malheureux! Et j'ai toujours été malheureux? A deux
ans je perds papa en Algérie; à dix ans je perds maman. C'est ma tante
qui me prend chez elle, la plus grondeuse, la plus maussade de toutes
mes tantes. Et ne voilà-t-il pas, à présent, qu'elle m'envoie me perdre à
Paris, au lieu de me garder chez elle.
«Jean est bien plus heureux, lui; il est toujours gai, toujours content;
tout le monde l'aime; chacun lui dit un mot aimable. Et moi! personne
ne me regarde seulement; et quand par hasard on me parle, c'est pour
m'appeler pleurard, maussade, ennuyeux, et d'autres mots aussi peu
aimables.
«Et on veut que je sois gai? Il y a de quoi, vraiment! Ma bourse est bien
garnie! Deux francs que le curé m'a donnés! Et Jean qui ne sait
seulement pas son compte, tant il en a! Tout le monde y a mis quelque
chose, a dit ma tante.... Je suis bien malheureux! rien ne me réussit!»
Tout en réfléchissant et en s'affligeant, Jeannot avait ralenti le pas sans
y songer. Quand le souvenir de sa position lui revint, il leva les yeux,
regarda devant, derrière, à droite, à gauche; il ne vit plus son cousin
Jean. La frayeur qu'il ressentit fut si vive que ses jambes tremblèrent
sous lui; il fut obligé de s'arrêter, et il n'eut même pas la force d'appeler.
Après quelques instants de cette grande émotion, il retrouva l'usage de
ses jambes, et il se mit à courir pour rattraper Jean. La route était étroite,
bordée de bois taillis: elle serpentait beaucoup dans le bois; Jean
pouvait donc ne pas être très éloigné sans que Jeannot pût l'apercevoir.
Dans un des tournants du chemin, il vit confusément une petite chapelle,
et il allait la dépasser, toujours courant, soufflant et suant, lorsqu'il
s'entendit appeler.
Il reconnut la voix de Jean, s'arrêta joyeux, mais surpris, car il ne le
voyait pas.
«Jeannot, répéta la voix de Jean, viens, je suis ici.
[Illustration: Il se mit à courir pour rattraper Jean.]
JEANNOT.
Où donc es-tu? Je ne te vois pas.
JEAN.
Dans la chapelle de Notre-Dame consolatrice.
--Tiens, dit Jeannot en entrant, que fais-tu donc là?
--Je prie,... répondit Jean. J'ai prié et je me sens consolé. Je sens comme
si Notre-Dame envoyait à maman des consolations et du bonheur.... Je
vois des traces de larmes dans tes yeux, pauvre Jeannot; viens prier, tu
seras consolé et fortifié comme moi.
JEANNOT.
Pour qui veux-tu que je prie? je n'ai pas de mère.
JEAN.
Prie pour ta tante, qui t'a gardé trois ans.
JEANNOT.
Bah! ma tante! ce n'est pas la peine.
JEAN.
Ce n'est pas bien ce que tu dis là, Jeannot. Prie alors pour toi-même, si
tu ne veux pas prier pour les autres.
JEANNOT.
Pour moi? c'est bien inutile. Je suis malheureux, et, quoi que je fasse, je
serai toujours malheureux. D'ailleurs tout m'est égal.
JEAN.
Tu n'es malheureux que parce que tu veux l'être. Excepté que j'ai
maman et que tu as ma tante, nous sommes absolument de même pour
tout. Je me trouve heureux, et toi tu te plains de tout.
JEANNOT.
Nous ne sommes pas de même; ainsi tu as je ne sais combien d'argent,
et moi je n'ai que deux francs.
JEAN.
Si ton malheur ne tient qu'à ça, je vais bien vite te le faire passer, car je
vais partager avec toi.
JEANNOT, un peu honteux.
Non, non, je ne dis pas cela; ce n'est pas ce que je te demande ni ce que
je voulais.
JEAN.
Mais, moi, c'est ce que je demande et c'est ce que je veux. Nous faisons
route ensemble; nous arriverons ensemble et nous resterons ensemble:
il est juste que nous profitions ensemble de la bonté de nos amis.»
Et, sans plus attendre, Jean tira de sa poche la vieille bourse en cuir
toute rapiécée qu'y avait mise sa mère, s'assit à la porte de la chapelle,
fit asseoir Jeannot près de lui, vida la bourse dans sa main et commença
le partage.
«Un franc pour toi, un franc pour moi.»
Il continua ainsi jusqu'à ce qu'il eût versé dans les mains de Jeannot la
moitié de son trésor, qui montait à huit francs vingt-cinq centimes pour
chacun d'eux.
Jeannot remercia son cousin avec un peu de confusion; il prit l'argent,
le mit dans sa poche.
«J'ai deux francs de plus que toi, dit-il.
JEAN.
Comment cela? J'ai partagé bien exactement.
JEANNOT.
Parce que

Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.