Jean qui grogne et Jean qui rit | Page 2

Comtesse de Ségur
les mêmes endroits, mais pour ne plus les revoir; et lui
aussi pleura.
«Pauvre mère! se dit-il. Elle croit que je la quitte sans regret; elle n'a ni
inquiétude ni chagrin. Ma tranquillité la rassure et soutient son courage.
Ce serait mal et cruel à moi de lui laisser voir combien je suis
malheureux de la quitter! et pour si longtemps! Mon bon Dieu,
donnez-moi du courage jusqu'à la fin! Ma bonne sainte Vierge, je me
mets sous votre protection. Vous veillerez sur moi et vous me ferez
revenir près de maman!»
Jean essuya ses yeux, chercha à se distraire par la pensée de son frère
qu'il aimait tendrement, et arriva assez gaiement à la demeure de sa
tante Marine. Au moment d'entrer, il s'arrêta effrayé et surpris. Il
entendait des cris étouffés, des gémissements, des sanglots. Il poussa
vivement la porte; sa tante était seule et paraissait mécontente, mais ce
n'était certainement pas elle qui avait poussé les cris et les
gémissements qu'il venait d'entendre.
«Te voilà, petit Jean? dit-elle; que veux-tu?
JEAN.
Maman m'a envoyé savoir si Jeannot était prêt pour demain, ma tante,
et s'il allait venir à la maison ce soir ou demain de grand matin pour
partir ensemble.

LA TANTE.
Je ne peux pas venir à bout de ce garçon-là; il est là qui hurle depuis
une heure; il ne veut pas m'obéir; je lui ai dit plus de dix fois d'aller te
rejoindre chez ta mère. Il ne bouge pas plus qu'une pierre. L'entends-tu
gémir et pleurer?
JEAN.
Où est-il donc, ma tante?
LA TANTE.
Il est dehors, derrière la maison. Va le trouver, mon petit Jean, et vois si
tu peux l'emmener.»
Jean sortit, fit le tour le la maison, ne vit personne, n'entendit plus rien.
Il appela:
«Jeannot!»
Mais Jeannot ne répondit pas.
Il rentra une seconde fois chez sa tante.
LA TANTE.
Eh bien, l'as-tu décide à te suivre? Il est calmé, car je n'entends plus
rien.
JEAN.
Je ne l'ai pas vu, ma tante; j'ai regardé de tous côtés, mais je ne l'ai pas
trouvé.
LA TANTE.
Tiens! où s'est-il donc caché?»

La tante sortit elle-même, fit le tour de la maison, appela et, comme
Jean, ne trouva personne.
«Se serait-il sauvé, par hasard, pour ne pas t'accompagner demain?»
Jean frémit un instant à la pensée de devoir faire seul un si long voyage
et d'entrer seul dans Paris la grande ville, si grande, avait écrit son frère,
qu'il ne pouvait pas en faire le tour dans une seule journée. Mais il se
rassura bien vite et résolut de le trouver, quand il devrait chercher toute
la nuit.
Lui et sa tante continuèrent leurs recherches sans plus de succès.
«Mauvais garçon! murmurait-elle. Détestable enfant!... Si tu pars sans
lui, mon petit Jean, et qu'il me revienne après ton départ, je ne le
garderai pas, il peut en être sûr.
JEAN.
Où le mettriez-vous donc, ma tante?
LA TANTE.
Je le donnerais à ta mère.
JEAN.
Oh! ma tante! Ma pauvre maman qui ne peut pas me garder, moi, son
enfant!
LA TANTE.
Eh bien, n'est-elle pas comme moi la tante de ce Jeannot, la soeur de sa
mère? Chacun son tour; voilà bientôt trois ans que je l'ai; il m'a assez
ennuyée. Au tour de ta mère, elle s'en fera obéir mieux que moi.»
Pendant que la tante parlait, Jean, qui furetait partout, eut l'idée de
regarder dans une vieille niche à chien, et il vit Jeannot blotti tout au
fond.

«Le voilà, le voilà! s'écria Jean. Voyons, Jeannot, viens, puisque te
voilà trouvé.»
Jeannot ne bougeait pas.
«Attends, je vais l'aider à sortir de sa cachette», dit la tante enchantée
de la découverte de Jean.
Se baissant, elle saisit les jambes de Jeannot et tira jusqu'à ce qu'elle
l'eût ramené au grand jour.
A peine Jeannot fut-il dehors, qu'il recommença ses cris et ses
gémissements.
JEAN.
Voyons, Jeannot, sois raisonnable! Je pars comme toi; est-ce que je crie,
est-ce que je pleure comme toi! Puisqu'il faut partir, à quoi ça sert de
pleurer? Que fais-tu de bon ici? rien du tout. Et à Paris, nous allons
retrouver Simon, et il nous aura du pain et du fricot. Et il nous trouvera
de l'ouvrage pour que nous ne soyons pas des fainéants, des propres à
rien. Et ici, qu'est-ce que nous faisons? Nous mangeons la moitié du
pain de maman et de ma tante. Tu vois bien! Sois gentil: dis adieu à ma
tante, et viens avec moi. Le voisin Grégoire a donné à maman une
bonne galette et un pot de cidre pour nous faire un bon souper, et puis
Daniel nous a donné un lapin qu'il venait de tuer.»
Le visage de Jeannot s'anima, ses larmes se tarirent et il s'approcha de
son cousin en disant:
«Je veux bien venir avec
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