son enfant.
Un violent combat se livrait dans son âme. Cet homme éprouvé par des
tortures si diverses, fléchissait sous le poids de tant de souffrances.
Philippe le vit pâlir et chanceler.
Il crut que son père cédait et pardonnait.
--Demandez-moi tout, continua le jeune homme d'une voix tremblante,
tout, excepté l'abjuration de mes croyances, et je vous jure que
j'obéirai!... Aujourd'hui, mon père, je ne crois plus aux vérités que vous
m'avez enseignées... Si vous aviez été là, je vous aurais tout avoué: le
mensonge me révolte vous le savez bien!
M. de Kardigân découvrit son visage qu'un moment il avait caché de
ses mains.
--Répondez-moi. Vous vous êtes battu?
--Mon père...
--Je veux que vous m'appreniez tout vous-même. Vous vous êtes battu?
--Oui, monsieur.
--Contre votre roi?
--Oui, monsieur.
--Vous avez tué quelques-uns de ses défenseurs?
--Oui, monsieur.
Philippe trembla, en prononçant cette réponse pour la troisième fois.
--Eh bien, parmi ces défenseurs se trouvaient vos deux frères. Votre
soeur, elle, s'est fait soldat! Soldat de l'héroïsme et de la charité. Que
me répondriez-vous si je vous disais: On a tué ton frère!
--Je répondrais: Je vais venger mon frère!
--Et si je vous disais: On a tué ta soeur!
--Je répondrais: Je vais venger ma soeur!
--Ah! vous me répondriez cela, monsieur! Alors écoutez-moi. Ces
hommes, dont vous étiez, ces hommes qui sont vos compagnons, vos
amis, vos alliés, ont tué votre frère Louis, ont tué votre soeur Marianne!
--Louis!... Marianne!...
--Vengez-les donc, maintenant, si vous pouvez!
Philippe tomba à genoux sur le sol.
Il sanglotait.
Enfin, il embrassa les genoux du vieillard:
--Mon père, dites-moi que ce n'est pas vrai! Mon père, dites-moi que
cette chose terrible n'a pas eu lieu... mon père!... Oh! mon Dieu!...
--Depuis quand m'a-t-on vu mentir, moi? Laissez-moi passer: je n'ai
plus rien à faire ici, maintenant!
--Jean... Oh! parlez-moi de Jean...
--Il vit... Adieu!
--Non, ne partez pas encore... ne me quittez pas ainsi, désespéré,
anéanti...
--Adieu!
--Il ne vous reste que deux de vos quatre enfants, et vous me tuez!
--Vous vous trompez, monsieur. Il ne m'en reste plus qu'un...
--Je serai donc à jamais chassé de votre coeur, moi, l'aîné de la maison!
M. de Kardigân s'avançait déjà vers la porte du préau. A cette phrase de
son fils, il s'arrêta et revint vers lui.
--Vous avez bien fait de dire ce mot. J'allais oublier. Vous, l'aîné de ma
race! Jamais! Je préférerais briser mon écusson et en arracher ma
devise! Demain, vous m'écrirez que vous renoncez à votre droit
d'aînesse. Je ne veux pas que le marquis de Kardigân soit un traître à sa
famille et à son roi!
Philippe redressa son front et répondit d'une voix douce, mais ferme:
--Ce que vous ordonnez sera accompli, monsieur le marquis. J'ai
embrassé vos genoux pour implorer mon pardon... vous êtes resté sans
pitié. C'était votre droit.
--C'était mon devoir!
--Mais, quoi que vous ordonniez, j'obéirai!
--Je vous défends de reparaître jamais à mes yeux... Je ne vivrai pas
bien longtemps, d'ailleurs. Vous m'avez porté le dernier coup. Comme
je ne veux pas qu'il y ait rien de commun entre mon fils unique et vous,
je ferai deux parts de ma fortune. Vous hériterez de moi de mon vivant,
car je suis mort pour vous, comme, pour moi, vous êtes mort.
--Je ferai mieux, monsieur le marquis, dit Philippe avec une fierté triste.
Je comprends ce que vous souffrez. Un Kardigân vous irrite dans les
rangs du peuple? Je quitterai mon nom..., mais, en retour, laissez-moi
vous adjurer une dernière fois... Oui, il y a des fatalités humaines; oui,
c'est affreux de penser que j'étais avec ceux qui ont tué Louis... qui ont
assassiné Marianne... Mon pauvre frère! lui si beau et si bon!... ma
pauvre Marianne que j'aimais tant, et pour qui j'espérais tant de joies!...
Il s'arrêta un instant.
Puis il reprit plus bas:
--Ah! c'est là mon châtiment, mon père! si vous pouviez lire dans mon
coeur, vous y verriez un tel désespoir, que vous auriez pitié de moi!...
M. de Kardigân fit un mouvement comme pour s'avancer vers Philippe.
Mais il retomba dans son immobilité.
--Eh bien! je n'hésite pas à vous obéir, continua le jeune homme. Tous
vos ordres seront respectés, parce qu'ils viennent de vous. Mais ne
laissez point peser sur mon front cette malédiction qui me tue... Tenez!
ce n'est plus même le pardon que j'implore, c'est l'oubli. Je comprends
qu'il est de ces traditions de fidélité qui ne doivent pas être brisées...
Mais pensez que je perds le même jour mon père, mon frère et ma
soeur!... Je reste orphelin et seul...
L'émotion du marquis grandissait à cet appel déchirant qui frappait à
son coeur.
Il se disait que ce jeune homme était son enfant et qu'il pleurait.
S'il l'eût trouvé orgueilleux devant lui, rebelle
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