Jean-nu-pieds, Vol. I | Page 6

Albert Delpit
sur le lit, donnant �� la pauvre morte aim��e un linceul de cl��matites, de cam��lias et de roses.
Puis il reprit sa pri��re.
Quand madame de Riom, presque folle, eut recouvr�� un peu de raison, elle supplia son cousin de quitter cette chambre.
--Ne soyez pas injuste, dit-elle; ceux qui ne sont plus doivent ��tre aim��s d'un amour ��gal. Louis attend!
M. de Kardigan se rappela qu'un autre cadavre l'attendait, en effet.
Il voulut s'��loigner; mais comme un aimant invincible l'attachait �� ce lit; il se pr��cipita sur le corps de Marianne, couvrant de larmes et de caresses ce front glac��.
--Ah! mon Dieu, s'��cria-t-il, qu'avait fait cette enfant pour que tu me la prisses!

IV
LA TROISI��ME JOURN��E
M. de Kardigan eut une id��e pieuse pendant qu'il quittait sa fille morte pour aller retrouver son fils mort.
Il voulut r��unir dans la m��me tombe ces deux ��tres, dont l'a?n�� n'avait pas vingt-six ans, comme ils avaient ��t�� r��unis dans la vie.
Aubin Ploguen ��tait rest�� �� la m��me place.
--L��ve-toi, mon gars, dit le marquis d'une voix sourde. Prends mon fils dans tes bras, et viens!
Le directeur de l'h?pital voulut s'opposer �� la volont�� du gentilhomme.
Mais celui-ci le regarda en disant:
--Je suis le p��re, monsieur!
Au reste, Aubin Ploguen avait d��j�� ob��i.
Le corps du jeune comte pesait �� ses bras comme une plume �� la main d'un enfant.
Ce fut une marche lugubre �� travers cette cit�� sombre et agit��e.
M. de Kardigan restait muet.
--Mademoiselle Marianne se porte bien? monsieur le marquis, demanda le serviteur, qui croyait adoucir ainsi la plaie saignante de son ma?tre.
--Oui... bien... tr��s-bien... elle repose.
Puis il retomba dans ses pens��es.
Aubin ne connut l'affreuse v��rit�� de cette r��ponse qu'en arrivant �� l'h?tel de Riom.
Il demeura tout tremblant devant cette terrible catastrophe qui, par deux fois, torturait ainsi le coeur du vieillard.
Dieu est le souverain consolateur.
Pas une plainte, pas une impr��cation n'��taient sorties de ces coeurs loyaux et religieux.
M. de Kardigan pla?a c?te �� c?te le fr��re et la soeur sur le m��me lit.
Au jour lev��, il commanda deux cercueils en ch��ne, o�� il renferma lui-m��me ces deux ��tres, qu'il avait tant aim��s.
Les cercueils de ch��ne furent soud��s ensuite dans des bo?tes en plomb.
Il trouvait une sorte de volupt�� apre �� remplir lui-m��me ces douloureuses fonctions.
Puis, quand tout fut termin��:
--Viens les venger, maintenant! dit-il.
Les M��moires de 1830 ont conserv�� le souvenir de deux hommes qui firent des merveilles d'��nergie et de bravoure, pendant la troisi��me de ces journ��es maudites.
Enferm��s dans une maison du quai Voltaire, ils se battirent comme des furieux, seuls contre quatre cents insurg��s.
Exasp��r��s d'��tre d��cim��s par ces deux h��ros, qui abattaient un homme �� chaque coup, ceux-ci r��solurent de mettre le feu �� la maison.
Mais les deux hommes ne cess��rent pas leurs meurtri��res attaques.
Des trous sanglants se faisaient dans la colonne r��volutionnaire.
Quand les flammes domin��rent le toit de la maison, la porte coch��re, barricad��e jusque-l��, s'ouvrit, et ils s'��lanc��rent au dehors, portant, l'un une hache, l'autre une poutre enflamm��e, avec lesquelles ils se fray��rent un passage �� travers des poitrines humaines.
Ces deux hommes ��taient le marquis de Kardigan et Aubin Ploguen.
Un livre, publi�� en 1837, raconte ce fait unique.
Toute la journ��e, les Bretons s'��taient battus.
Quand ils eurent ��lev�� un holocauste h��ro?que �� ceux qui n'��taient plus, M. de Kardigan se dirigea, toujours suivi d'Aubin, vers la caserne de la Place, o�� les gardes-du-corps avaient leur poste.
Naturellement les gardes-du-corps ��taient �� Saint-Cloud avec le roi.
Pourtant on lui dit que M. le duc de Raguse, mar��chal Marmont, ayant envoy�� �� M. de Salis, colonel commandant les Suisses, son aide de camp M. de Guise, M. de Salis avait exp��di�� de son c?t�� un officier des gardes-du-corps au mar��chal.
Cet officier devait coucher �� la caserne, et ne repartir pour Saint-Cloud que le lendemain au soir.
--Quel est son nom? demanda le marquis.
--Le baron de Kardigan.
C'��tait son fils en effet.
Le Breton laissa Aubin Ploguen �� la caserne, avec ordre d'annoncer �� Jean son arriv��e, mais de ne lui rien dire des deux catastrophes qui venaient de fondre sur la famille.
Puis lui-m��me gagna l'��cole polytechnique.
Il n'y arriva qu'�� une heure avanc��e.
--C'est le troisi��me de mes enfants que je vais voir, pensa le vieillard. Vais-je le trouver mort comme les autres?
Il cherchait bien �� se rassurer, en se disant que les ��l��ves de l'��cole n'avaient pu d��sob��ir �� l'ordre du ministre qui les consignait.
Mais il ne croyait plus qu'au malheur.
Son coeur se serra quand il entra dans la cour de l'��cole.
Elle paraissait vide; de temps �� autre, un polytechnicien traversait le pr��au en courant, les v��tements d��chir��s, l'oeil hagard.
Un groupe d'hommes causait vivement dans un coin.
Le marquis pr��ta l'oreille pour ��couter ce qu'ils disaient.
--Il est mort? demandait une voix.
--Pas encore.
--O�� a-t-il ��t�� bless��?
--D'un coup de ba?onnette dans le ventre.
--Mais est-ce s?r?
--Tr��s-s?r. C'est Charras et Lothon[1] qui ont apport�� la nouvelle.
En entendant ces quelques mots, le gentilhomme frissonna dans tout son ��tre. Il fut oblig�� de se
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