Jean-nu-pieds, Vol. I

Albert Delpit
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Jean-nu-pieds, Vol. I

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Title: Jean-nu-pieds, Vol. I chronique de 1832
Author: Albert Delpit
Release Date: March 19, 2006 [EBook #18015]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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JEAN-NU-PIEDS
PAR
ALBERT DELPIT
TOME PREMIER

PARIS E. DENTU, LIBRAIRE-éDITEUR
1876

A MON CHER GRAND MA?TRE AUGUSTE MAQUET
Souvenir et gratitude pour les temps difficiles
ALBERT DELPIT
Paris, 7 ao?t 1875.

PROLOGUE

FIDèLE!

I
DEUX CAVALIERS
Vers la fin du mois de juillet de l'année 1830, deux cavaliers traversaient le village d'Ablon, situé à quinze kilomètres de Paris.
Ils paraissaient avoir fourni une longue course, car leurs vêtements poudreux indiquaient de lointains voyageurs.
Ce sont deux rudes hommes, et tels que l'imagination se représente les chevaliers d'autrefois, enfermés dans leurs puissantes armures.
Le plus vieux, auquel on e?t aisément donné plus de soixante-cinq ans, porte un sévère costume noir, passé de mode. Un manteau plié, à l'arrière de la selle, rappelle le bagage des officiers de cavalerie; le plus jeune est vêtu d'une simple jaquette grise, et se tient, par déférence, à une demi-longueur en arrière. Le premier s'appelle Huon-Anne, marquis de Kardigan. Il est propriétaire de plusieurs lieues carrées entre Guérande et Savenay.
La second se nomme tout simplement Aubin Ploguen. Il est né sur les terres de Kardigan, et y mourra, si Dieu le veut. Le marquis avait quitté son chateau, en compagnie de Ploguen, pour aller embrasser ses quatre enfants:
Louis, l'a?né, chef d'escadron dans la garde royale; le second, Philippe, élève à l'école Polytechnique; le troisième, Jean, qui, malgré ses vingt ans, est entré aux gardes-du-corps, et, enfin, Marianne, sa fille chérie, ravissante enfant de dix-sept ans, qu'il va chercher au couvent de la Vierge, rue Saint-Paul, pour en faire la joie et la consolation de ses vieux jours.
Si le marquis de Kardigan est un de ces grands et robustes gentilshommes, comme en a enfantés la Bretagne, cette _terre de granit recouverte de chênes_, à coup s?r Aubin Ploguen résume à merveille en lui l'idée qu'on peut en faire de la force humaine.
Au reste, la conversation qu'il eut avec son ma?tre, en entrant au service de Kardigan, édifiera pleinement le lecteur sur ce personnage, l'un des principaux de notre récit.
C'était vingt ans environ avant le commencement de cette histoire.
Cibot Ploguen, au moment de mourir, avait supplié le marquis de Kardigan de prendre chez lui son fils Aubin.
Cibot Ploguen, vétéran de toutes les chouanneries, avait sauvé plusieurs fois la vie du gentilhomme pendant leurs éternelles guerres contre les Bleus.
Le marquis répondit seulement:
--Tu peux mourir tranquille, mon gars, je t'engage ma parole.
Et Cibot était mort tranquille.
Le lendemain, M. de Kardigan fit venir Aubin Ploguen.
--Ton père t'a donné à moi.
--Je le sais, monsieur le marquis.
--Quel age as-tu?
--Vingt ans.
--Eh bien, tu feras chez moi ce que tu voudras. Tu chasseras ou tu pêcheras, tu laboureras...
--Pardon, monsieur le marquis, je sais lire et écrire. Pourquoi monsieur le marquis ne me chargerait-il pas d'inspecter ses biens?
--Diable! tu ferais la besogne de deux intendants, alors?
--De quatre. C'est mon opinion.
--Va, mon gar?on!
Peu à peu, le vieux gentilhomme s'aper?ut d'une chose: c'est que si Aubin faisait la besogne de quatre intendants, en revanche, il ne le volait pas, ce à quoi un seul e?t parfaitement suffi.
Aussi, malgré la distance sociale qui les séparait, une sorte d'intimité et d'affection s'était lentement établie entre eux.
Intimité et affection qui ne firent que s'augmenter quand, ses quatre enfants étant partis pour Paris, le marquis se retrouva seul.
La marquise était morte en donnant le jour à Marianne.
Mais revenons à la suite de la conversation que nous avons commencée:
--Es-tu fort, mon gars? demanda M. de Kardigan, après avoir confié à Aubin la direction de ses domaines.
--Assez... c'est mon opinion.
--Donne-m'en une preuve.
Aubin Ploguen aper?ut une pièce de cinq francs en argent qui flanait sur la cheminée.
Il la prit entre ses doigts, et sans aucun effort apparent la cassa tout net.
--Bravo, mon gars! s'écria le gentilhomme émerveillé.
--Peuh! j'ai fait mieux que ?a, monsieur le marquis.
--Bah!
--Si monsieur le marquis veut atteler un cheval à une voiture, je me charge de tra?ner la voiture en arrière, malgré tous les efforts du cheval pour la tra?ner en avant.
Pendant les vingt ans qui s'écoulèrent entre l'entrée du fils Ploguen au chateau et le moment où nous les trouvons au village d'Ablon, le marquis eut tant de preuves de cette force herculéenne, qu'il en était arrivé à y compter comme sur une chose naturelle.
Un jour, une vieille église mena?ant ruine, il dit au curé:
--Je
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