moi?
--Henry! s'écria Jean en apercevant son ami.
--Moi-même! cela t'étonne, hein? il y a si longtemps que tu ne m'as vu!
M. de Puiseux s'arrêta court, et regarda son ami d'un air curieux:
--Ma foi, voilà qui est bien amusant! s'écria-t-il d'un ton de bonne humeur.
--Quoi, s'il te pla?t?
--Tu n'es plus le même.
--En vérité!
--C'est comme j'ai l'honneur de te le dire. Il y a en ta seigneurie quelque chose de changé. Quoi? je ne le sais pas au juste..., mais il y a quelque chose.
--Tu trouves? répliqua Jean en souriant gaiement.
--De la gaieté, maintenant! Diable, voilà qui est embarrassant! L'énigme se change en mystère.
Henry de Puiseux regardait alternativement le marquis et son serviteur, comme s'il e?t d? lire sur leur visage la réponse à ce qu'il demandait.
Mais Jean-Nu-Pieds restait impénétrable autant et plus que le brave Aubin Ploguen; néanmoins, il y avait en eux comme une transfiguration.
Jean eut pitié de la curiosité de son ami; il sauta à cheval.
--Allons, viens avec nous, dit-il.
Henry fit faire volte-face à sa monture et se pla?a à c?té du marquis.
--D'abord, où allons-nous?
--Au chateau de la Pénissière.
--Bravo!
--Tu applaudis?
--Je crois bien.
--Pourquoi?
--Parce que nous aurons, évidemment, à en découdre.
--Comment le sais-tu?
--C'est mon idée... Les chiens de chasse sentent le gibier; moi, je sens les coups de fusil. Chacun sa nature.
--A la grace de Dieu, alors!
--Soit; mais, avant, aurais-tu la bonté de m'expliquer la source du contentement... que dis-je? de la joie qui est gravée sur tes traits? Il n'est pas jusqu'à notre ami Aubin qui n'ait l'air de s'envoler dans l'air. Vous êtes positivement plus légers, mes chers amis?
--Tu ne te trompes pas.
--J'en étais s?r. Maintenant, pourquoi êtes-vous si heureux?
--Cherche!
--Avez-vous trouvé la pierre philosophale?
--Pas précisément.
--Alors...
--Mais nous avons du moins trouvé quelque chose de plus précieux.
--De plus précieux? Diable! Et qu'est-ce, s'il te pla?t?
--Le bonheur!
Les trois Vendéens traversaient en ce moment une lande couverte de genêts et de bruyères. Il soufflait un vent léger, chargé de senteurs acres. La journée s'annon?ait comme devant être chaude.
Henry fit faire un bond à son cheval en entendant la réponse de son ami. C'est que, dans sa surprise, il l'avait vigoureusement éperonné.
Jean le regardait, souriant toujours.
--Ah! tu as trouvé le bonheur!
--Ma foi, oui.
--Et quand cela, je te prie?
--Hier au soir.
--A quelle heure?
--A minuit.
--Et où?
--Dans la ferme de Rassé.
Ces réponses énigmatiques déconcertèrent de Puiseux à un tel point, que Jean et Aubin se mirent à rire.
--Ma parole, il faut que tu sois bien changé pour rire avec un pareil entrain, dit-il. Il y a trois jours seulement, tu me navrais.
--Cher ami, il y a trois jours, j'étais le plus malheureux, et, aujourd'hui, je suis le plus heureux des hommes!
Le marquis pronon?a cette phrase avec une voix si vibrante, avec une joie si contenue, que le coeur de Ploguen en fut doucement remué.
--Je me marie dans trois semaines, dit-il, et demain, j'espère, je pourrai te présenter à celle qui sera madame de Kardigan.
--Allons donc!
Alors, en quelques mots, il raconta à son ami l'histoire d'amour, si simple et si touchante, que nos lecteurs connaissent. Il lui raconta comment il avait connu Fernande, et comment ils s'étaient aimés; puis, par quelle fatalité maudite leur amour avait été presque condamné dès sa naissance.
On sentait que Jean racontait avec un douloureux bonheur ces heures d'angoisses et de tortures où il s'était cru à jamais séparé de la jeune fille, de même que le matelot aime à se rappeler dans le calme du port les inquiétudes de la tempête. Comme ils avaient souffert tous les deux! et comme ils avaient bien gagné leur bonheur présent!
Quand il en vint à l'épisode de Fernande déguisée en paysan, et venant demander un asile au chateau de Kardigan, Henry poussa un cri de triomphe!
--Parbleu! Pinson... je l'avais deviné!...
--Cher ami, reprit-il, ma fiancée est cette femme, voilà tout ce que j'ai à te dire... Quant à Madame!... Oh! Madame, j'ai une envie folle de me faire tuer aujourd'hui pour elle.
--Elle t'en voudrait trop!
--C'est vrai!
Les chevaux galopaient. Le chateau de la Pénissière est situé à une heure et demi de Clisson, environ.
Ils approchaient du but de leur expédition, et déjà ils s'apercevaient de ce que l'ordre de la princesse avait de prudent. On distinguait nettement ?à et là les traces encore fra?ches du passage des troupes de ligne.
--Tu as raison, dit Henry, en les examinant, je vois que nous aurons à en découdre aujourd'hui. En avant!
--En avant! répéta Aubin Ploguen.
Les trois cavaliers prirent le grand galop et disparurent derrière un épais rideau de poussière.
Le soleil s'était levé sur cette journée qui allait ajouter aux annales de l'histoire de France quelque chose d'aussi beau que le combat des Trente ou que la bataille de Fontenoy.
IV
LA RECONNAISSANCE
L'histoire a retenu les noms de quelques-uns des royalistes qui étaient ce jour-là au chateau d'Homère. Il y avait M. le marquis de Grandlieu, M. de Girardin, Henry de Puiseux et le marquis de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.