Jean-nu-pieds, Vol. 2 | Page 8

Albert Delpit
ensuite sous les grands arbres. Alors, seulement, cette noble princesse sentit la fatigue qui l'écrasait. Elle referma la fenêtre et murmura dans la langue italienne qu'elle parlait si bien ces deux vers d'un po?te de son pays:
O jeunesse, printemps de la vie... O printemps, jeunesse de l'année. ...
* * * * *
... Jean serrait le bras de Fernande contre le sien et se perdait avec elle sous la feuillée.
Comme cette promenade nocturne différait de celle qu'ils avaient faite ensemble quelques jours auparavant!
Ils ne se parlaient pas. L'émotion ressentie était trop grande pour que des paroles la pussent traduire.
Quoi! après tant de désespérances, ils se voyaient donc réunis, et pour toujours!
Tout à coup, une ombre se dressa devant eux.
Jean sortait de son silence au même instant, et disait à Fernande:
--Chère, c'est Dieu qui vous a inspirée!...
--Pardon, monsieur la marquis, répliqua respectueusement la voix de l'ombre, ce n'est pas Dieu.
--Aubin! toi, ici? s'écria Jean, stupéfait de trouver là son serviteur.
--Je venais saluer la marquise de Kardigan, ma?tre.
--Tu sais donc...
Fernande serrait déjà la main du Breton.
--C'est lui qui m'a inspirée, ami, dit-elle tout bas...
--Aubin! ah! que Dieu te récompense. J'allais mourir... Tu nous as sauvés de la mort... car elle aussi en serait morte!
Aubin palit de joie.
Puis il ajouta avec sa philosophie habituelle:
--Je ne vous cacherai pas, monsieur le marquis, que c'est mon opinion!...
Le fidèle serviteur disparut. Ils restaient seuls, la main dans la main, le coeur rempli de cette ineffable joie que donne le bonheur trouvé dans l'accomplissement du devoir accompli.
--Fernande, ma chère femme, dit Jean, sortant enfin le premier de son silence; Fernande, dans un mois nous serons unis l'un à l'autre; que de projets nous pourrons réaliser! Nous ne nous quitterons pas. Ma volonté est de rester jusqu'au bout attaché à mon devoir. J'ai aimé trois choses humaines par-dessus tout: ma patrie, mon roi et vous. Je me dois à ceux-ci... La lutte peut être longue: que ne souffrirais-je pas, si nous étions séparés?
--Jean, j'avais pensé ce que vous me dites. Non, il ne faut pas nous séparer.
--Jamais!
--Jamais...
Le bonheur les enveloppait.
Ils suivaient lentement le petit chemin qui menait à la chaumière occupée par la jeune fille. Il semblait à M. de Kardigan qu'il devait reconduire sa fiancée à sa demeure.
Comme ils passaient devant la petite église, Fernande s'arrêta:
--Ami, dit-elle, je voudrais y entrer et prier Dieu...
Elle ajouta, serrant doucement la main de celui qui allait devenir son mari:
--Jean, vous ne savez pas tout. J'étais entrée dans cette petite église, il y a quelques heures, le coeur brisé. Il me semblait que nous étions pour toujours séparés l'un de l'autre. Je m'étais jetée aux pieds du Sauveur, le suppliant de me sauver, car je n'avais pas la force de vivre sans vous, et je n'avais pas le courage d'être lache avec vous! Et il y a des malheureux qui osent dire que Dieu n'entend pas... que Dieu est sourd à nos prières!... Dieu m'a entendue... Madame priait Dieu à c?té de moi!...
Et comme le jeune homme la regardait étonné, elle lui raconta cette rencontre d'où était sortie son allégresse, cette rencontre qui avait fait d'elle une femme heureuse entre toutes les femmes.
Les églises de Bretagne, celles du moins des communes jetées dans le mouvement royaliste, restaient ouvertes toute la nuit. Il fallait que le soldat qui s'apprêtait à toute heure à mourir p?t à toute heure aussi prier Dieu.
Ils y rentrèrent et allèrent s'agenouiller devant cette légende de Pie V dont nous avons dit la douce poésie. Le ciel ne venait-il pas de faire un miracle pour eux comme il avait fait un miracle pour le saint Pape?
Quand ils en sortirent, ils se sentaient bien et complètement unis. Il leur semblait que, dès lors, la destinée mauvaise ne pouvait plus avoir son influence néfaste sur eux; il leur semblait que, quittes avec l'infortune, les jours heureux allaient luire enfin après les jours tristes.
Et pourtant, quand arrivés à la chaumière ils durent se séparer, une vague crainte les prit. Jean partait le lendemain; non que l'appréhension du danger p?t gagner ces ames fortes, le danger pour eux était devenu le compagnon de chaque jour auquel on ne fait plus attention; mais était-ce un pressentiment?
Fernande tendit son front à son fiancé.
Il la prit dans ses bras, et la serra longuement sur son coeur:
--Dieu nous garde! murmura-t-il.
Et pendant qu'elle rentrait dans sa pauvre petite maison, il s'éloigna à grand pas.
* * * * *
Le lecteur sait quelle mission le marquis avait re?ue. Il devait se rendre au chateau de la Pénissière, et transmettre aux royalistes qui y seraient rassemblés les ordres de Madame.
La première intention de Jean-Nu-Pieds avait été de partir seul; puis il s'était résolu à emmener Aubin Ploguen.
Dès l'aube, ils sellaient leurs chevaux tous les deux, quand un cavalier parut à quelques pas:
--Eh bien! cher ami, tu veux donc aller t'amuser sans
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