penchais mes yeux sur le bord?D'un lit où la Na?ade dort,?Et regardant pêcher Silvie,?Je voyais battre les poissons?à qui plus t?t perdrait la vie?En l'honneur de ses hame?ons.
D'une main défendant le bruit,?Et de l'autre jetant la ligne,?Elle fait qu'abordant la nuit,?Le jour plus bellement décline;?Le soleil craignait d'éclairer,?Et craignait de se retirer;?Les étoiles n'osaient para?tre;?Les flots n'osaient s'entre-pousser.?Le zéphire n'osait passer,?L'herbe se retenait de cro?tre.
Et que dites-vous de ces quatrains du _Promenoir des deux amants_?
Auprès de cette grotte sombre?Où l'on respire un air si doux,?L'onde lutte avec les cailloux?Et la lumière avecque l'ombre.
Ces flots, lassés de l'exercice?Qu'ils ont fait dessus ce gravier?Se reposent dans ce vivier?Où mourut autrefois Narcisse.
C'est un des miroirs où le Faune?Vient voir si son teint cramoisi,?Depuis que l'amour l'a saisi,?Ne serait point devenu jaune.
L'ombre de cette fleur vermeille?Et celle de ces joncs pendants?Paraissent être là-dedans?_Les songes de l'eau qui sommeille_.
Ce Tristan et ce Théophile sont des poètes ingénieux--et qui aiment la nature, oh! mon Dieu, peut-être autant que nous l'aimons. Seulement, c'est plus fort qu'eux, ils ne peuvent la peindre sans mêler à leurs peintures, trop menues, trop sèchement détaillées, de l'esprit et des pointes, et une trop piquante mythologie.
Racine, à seize ans, les copie de son mieux dans ses odes enfantines. Il emploie la strophe préférée de Théophile (en abrégeant seulement, et d'une fa?on qui n'est peut-être pas très heureuse,--car elle la rend trop sautillante--le septième et le neuvième vers de la strophe). Son imitation est, en général, assez faible; il a vraiment trop d'épithètes insignifiantes, telles qu'_agréable et admirable_. Mais il a pourtant des strophes assez réussies dans leur genre, et pas trop éloignées de leur modèle; celle-ci, par exemple:
Là, l'hirondelle voltigeante,?Rasant les flots clairs et polis,?Y vient avec cent petits cris?Baiser son image naissante.?Là, mille autres petits oiseaux?Peignent encore dans les eaux?Leur éclatant plumage:?L'oeil ne peut juger au dehors?Qui vole ou bien qui nage?De leurs ombres et de leurs corps.
Puis, il nous parle des poissons ?aux dos argentés?:
... Ici, je les vois s'assembler,
Se mêler et se démêler?Dans leur couche profonde;?Là je les vois (Dieu, quels attraits!)?_Se promenant dans l'onde,?Se promener dans les forêts._
à cause, vous entendez bien, des feuillages qui se reflètent dans l'eau. Cela est beaucoup plus imaginé et concerté que vu: c'est tout à fait du Théophile.
Je suis s?r que ces petits vers, si l'enfant les lui montra, ne déplurent point au bon M. Hamon, qui, comme j'ai dit, avait l'imagination riante, et qui mettait dans ses méditations spirituelles, pour en tirer de subtiles comparaisons à la manière de saint Fran?ois de Sales, beaucoup de fleurs, d'arbres et d'animaux. Mais surtout M. Hamon dut go?ter ces strophes de l'ode deuxième:
Je vois ce clo?tre vénérable,?Ces beaux lieux du ciel bien aimés,?Qui de cent temples animés?Cachent la richesse adorable.
(Vous avez compris que ces ?temples animés?, ce sont les religieuses de _Port-Royal_.)
C'est dans ce chaste paradis?Que règne, en un tr?ne de lis,?La virginité sainte;?C'est là que mille anges mortels
(Ils n'étaient que ?cent? tout à l'heure: ?mille? est pour l'euphonie.)
D'une éternelle plainte?Gémissent au pied des autels.
Sacrés palais de l'innocence,?Astres vivants, choeurs glorieux?Qui faites voir de nouveaux cieux?Dans ces demeures du silence,?Non, ma plume n'entreprend pas?De tracer ici vos combats,?Vos je?nes et vos veilles;?Il faut, pour en bien révérer?Les augustes merveilles,?Et les taire, et les adorer.
(Pas mal, ce dernier vers.)
Je ne vous donne pas ces strophes pour merveilleuses. Mais elles ont de la piété, de l'onction et, si je puis dire, de la blancheur. Et si l'on veut, de loin, de très loin, elles font présager l'accent suave des choeurs d'_Esther_.
Dans le même temps, l'enfant traduisait les _Hymnes_ du bréviaire romain en vers fran?ais, que, plus tard, il retoucha notablement ou que, même, je pense, il refit tout entiers.--Il fait aussi beaucoup de vers latins, élégants et faciles. Il se nourrit d'Homère, de Sophocle et d'Euripide. Il les lit en ?s'enfon?ant dans les bois?, ce qui est, si je puis ainsi parler, une fa?on plus sensuelle de les lire. Il traduit beaucoup, beaucoup de grec, et même des auteurs simplement curieux, tels que Diogène La?rce, Eusèbe et Philon. Et il commence un prodigieux travail d'annotations, souvent page par page, sur la presque totalité de la littérature grecque et sur une bonne partie de la latine.
Lorsqu'il sort de Port-Royal au mois d'octobre 1658, Jean Racine est à la fois un adolescent très pieux,--et un adolescent fou de littérature.
Fou de littérature, il le serait peut-être devenu de lui-même. Mais il est certain qu'il l'était aussi par la faute de ses vénérables ma?tres.
Ses vénérables ma?tres estimaient peu la littérature en elle-même. Pour leur compte, ils ne visaient pas au talent. Ils jugeaient que ce qu'il convient d'étudier chez les anciens et de leur emprunter, c'est simplement l'art d'exprimer clairement et exactement sa pensée, afin qu'elle soit plus efficace. Mais comment pouvaient-ils croire qu'un enfant tendre, intelligent et passionné ne
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