Jean-Jacques Rousseau | Page 6

Jules Lemaître
mal fam��e de Paris, la petite Marion devenue fille publique... Mais ce serait peut-��tre un peu trop pr��vu, et je ne l'��crirai pas.)
Il reste que l'acte abominable de Jean-Jacques est extr��mement significatif du fond m��me de sa nature,--sensibilit��, imagination, orgueil,--et cela, par l'explication m��me qu'il en donne et qui me para?t, ici, toute la v��rit��:
Jamais la m��chancet�� ne fut plus loin de moi que dans ce cruel moment (celui o�� il accusa faussement Marion); et, lorsque je chargeai cette malheureuse fille, il est bizarre, mais il est vrai que mon amiti�� pour elle en fut la cause. Elle ��tait pr��sente �� ma pens��e: je m'excusai sur le premier objet qui s'offrit et je l'accusai d'avoir fait ce que je voulais faire et de m'avoir donn�� le ruban, parce que mon intention ��tait de le lui donner... Quand je la vis para?tre ensuite, mon coeur fut d��chir��, mais la pr��sence de tant de monde fut plus forte que mon repentir. Je ne craignais pas la punition: je ne craignais que la honte, mais je la craignais plus que la mort, plus que le crime, plus que tout au monde. J'aurais voulu m'enfoncer dans le centre de la terre: l'invincible honte l'emporta sur tout; la honte seule fit mon impudence, et plus je devenais criminel, plus l'effroi d'en convenir me rendait intr��pide. Je ne voyais que l'horreur d'��tre reconnu, d��clar�� publiquement, moi pr��sent, voleur, menteur, calomniateur. Un trouble universel m'?tait tout autre sentiment.
(Quelques difficult��s subsistent sur cette anecdote. Il s'agit d'un ?petit ruban? et ?vieux?, qui par cons��quent pouvait valoir quelques sols. Le comte de la Roque, neveu de madame de Vercellis, attacha si peu d'importance �� l'histoire que, quelques semaines apr��s, il procura �� Jean-Jacques une place excellente... Jean-Jacques aurait-il dramatis��? C'est ennuyeux, avec lui on ne sait jamais. Ce qui est s?r, c'est qu'il m��ne un terrible repentir... Il assure que le d��sir de se soulager par cet aveu a beaucoup contribu�� �� la r��solution qu'il a prise d'��crire ses confessions; et, dans un premier manuscrit de ces m��mes Confessions, il va jusqu'�� dire qu'il consid��re la calomnie de David Hume sur son compte, trente ans apr��s, comme le chatiment direct du mensonge qu'il fit lui-m��me contre la pauvre Marion.)
Corollairement �� cette sensibilit�� et �� cet orgueil, il y a dans Jean-Jacques un profond amour de la solitude, de la r��verie paresseuse, de l'ind��pendance et, par suite, de la vie errante et, tranchons le mot, du vagabondage. Le vagabondage est chez lui une passion. Il aime vivre au hasard. Apprenti greffier, graveur, laquais, valet de chambre, s��minariste, employ�� au cadastre, ma?tre de musique, on peut dire que, dans les longs intervalles de ces diverses occupations, il redevient volontairement, et autant qu'il peut, un errant, un chemineau. C'est son go?t dominant. Quand il s'enfuit de Gen��ve, �� seize ans: ?L'ind��pendance que je croyais avoir acquise, ��crit-il, ��tait le seul sentiment qui m'affectait. J'entrais avec s��r��nit�� dans le vaste monde.? Ailleurs il dit que ce qu'il aime dans ses courses solitaires, c'est ?la vue de la campagne, la libert�� du cabaret, l'��loignement de tout ce qui lui fait sentir sa d��pendance?. C'est aussi la paresse et la r��verie. Il go?te tellement cette vie-l�� que, pouvant esp��rer, par l'abb�� de Gouvon, une situation honorable dans la carri��re des ambassades (et il n'a pas dix-huit ans), il lache tout pour suivre une esp��ce de voyou genevois, nomm�� Bascle, dont il s'est ��pris, et avec qui il court le pays en montrant une machine de physique amusante.
(Notons ici un autre trait de caract��re: sa facilit�� �� s'engouer. Il s'��prend de Bascle, comme il s'��prendra de Venture, le musicien boh��me, comme il s'��prendra d'abord de Diderot, de Grimm et de tant d'autres. Il a un grand besoin d'aimer et une cr��dulit�� qui le font se jeter �� la t��te des gens; et ce premier mouvement de sensibilit�� confiante est peu �� peu suivi de sensibilit�� d��fiante; car il trouve bient?t chacune de ses idoles inf��rieure �� l'id��e que son imagination s'en ��tait form��e; ou bien son orgueil craint tr��s vite que l'idole ne lui rende pas son affection ou m��me ne se moque de lui.)
Reprenons. C'est �� cette vie errante dans un des plus beaux pays du monde, c'est �� cette vie r��veuse et inqui��te que Rousseau doit son intelligence et son amour de la nature, et d'avoir invent��, ou peu s'en faut, la po��sie romantique. Ses Confessions sont pleines de souvenirs charmants de paysages, et en outre, au commencement du livre II, il parle d��j�� comme parlera Ren��: ?... J'��tais inquiet, distrait, r��veur; je pleurais, je soupirais, je d��sirais un bonheur dont je n'avais pas d'id��e, et dont je sentais pourtant la privation...?
C'est ce chemineau qui ��crira les paysages et les morceaux lyriques de la Nouvelle H��lo?se, et les R��veries d'un promeneur solitaire.
Ce que Jean-Jacques
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