Jacques | Page 5

George Sand
peux pas m'en rendre compte, et il a tort, je pense, de ne pas vouloir se donner la peine de me les faire comprendre. Mais que d'autres choses en lui qui sont dignes d'admiration et d'enthousiasme! J'ai tort de m'occuper tant des petits nuages, quand j'ai un si beau ciel �� contempler! C'est ��gal, dis-moi ton avis sur ces mis��res; j'ai une grande confiance en ton bon sens, et je suis habitu��e �� voir un peu par tes yeux. Ce n'est pas ce qui pla?t le plus �� maman. Enfin, j'aurai bient?t la libert�� de t'��crire sans me cacher. Adieu, ch��re Cl��mence. Je n'attendrai pas ta r��ponse pour t'��crire une seconde lettre. Je t'embrasse mille fois.
Ton amie, FERNANDE DE THEURSAN

II.
Gen��ve, le...
Vraiment, Jacques, vous allez vous marier? Elle sera bien heureuse, votre femme! Mais vous, mon ami, le serez-vous? Il me para?t que vous agissez bien vite, et j'en suis effray��e. Je ne sais pourquoi cette id��e de vous voir mari�� ne peut entrer dans ma pauvre t��te; je n'y comprends rien; je suis triste �� la mort; il me semble impossible qu'un changement quelconque am��liore votre destin��e, et je crois que votre coeur se briserait au choc de douleurs nouvelles. O mon cher Jacques! il faut bien de la prudence quand on est comme nous deux!
As-tu song�� �� tout, Jacques? as-tu fait un bon choix? Tu es observateur et p��n��trant; mais on se trompe quelquefois; quelquefois la v��rit�� ment! Ah! comme tu t'es souvent tromp�� sur toi-m��me! combien de fois je t'ai vu d��courag��! combien de fois je t'ai entendu dire: Ceci est le dernier essai! Pourquoi suis-je assi��g��e de noirs pressentiments? Que peut-il t'arriver? Tu es un homme, et tu as de la force.
Mais toi, songer au mariage! cela me parait si extraordinaire! Vous ��tes si peu fait pour la soci��t��! vous d��testez si cordialement ses droits, ses usages et ses pr��jug��s! Les ��ternelles lois de l'ordre et de la civilisation, vous les r��voquez encore en doute, et vous n'y c��dez que parce que vous n'��tes pas absolument s?r que vous deviez les m��priser; et avec ces id��es, avec votre caract��re insaisissable et votre esprit indompt��, vous allez faire acte de soumission �� la soci��t��, et contracter avec elle un engagement indissoluble; vous allez jurer d'��tre fid��le ��ternellement �� une femme, vous! vous allez lier votre horreur et votre conscience au r?le de protecteur et de p��re de famille! Oh! vous direz ce que vous voudrez, Jacques, mais cela ne vous convient pas; vous ��tes au-dessus ou au-dessous de ce r?le; quel que vous soyez, vous n'��tes pas fait pour vivre avec les hommes tels qu'ils sont.
Vous renoncerez donc �� tout ce que vous avez ��t�� jusqu'ici et �� tout ce que vous auriez ��t�� encore! car votre vie est un grand ab?me o�� sont tomb��s p��le-m��le tous les biens et tous les maux qu'il est permis a l'homme de ressentir. Vous avez v��cu quinze ou vingt vies ordinaires dans une seule ann��e; vous deviez encore user et absorber bien des existences avant de savoir seulement si vous aviez commenc�� la v?tre. Est-ce que vous regarderiez encore ceci comme un ��tat de transition, comme un lien qui doit finir et faire place �� un autre? Je ne suis pas plus que vous un adepte de la foi sociale, je suis n��e pour la d��tester, mais quels sont les ��tres qui peuvent lutter contre elle, ou m��me vivre sans elle? La femme que vous ��pousez est-elle donc comme vous? est-elle une des cinq ou six cr��atures humaines qui naissent, dans tout un si��cle, pour aimer la v��rit��, et pour mourir sans avoir pu la faire aimer des autres? est-elle de ceux que nous appelions les sauvages dans les jours de notre triste gaiet��? Jacques, prends garde; au nom du ciel, souviens-toi combien de fois nous avons cru l'un et l'autre trouver notre semblable, et combien de fois nous nous sommes retrouv��s seuls vis-��-vis l'un de l'autre! Adieu; prends au moins le temps de r��fl��chir. Pense �� ton pass��; pense �� celui de SYLVIA.

III.
DE FERNANDE A CL��MENCE.
Tilly, le...
Ma ch��re, j'ai fait aujourd'hui une d��couverte qui m'a laiss�� une impression singuli��re. En ��coutant lire la r��daction de notre contrat de mariage, j'ai appris que Jacques avait trente-cinq ans. Certainement ce n'est pas l�� un age avanc��; et d'ailleurs on n'a jamais que l'age qu'on para?t avoir, et �� la premi��re vue je lui avais imagin�� dix ann��es de moins. Cependant je ne sais pas pourquoi le son de ces syllabes, trente-cinq ans! m'a ��pouvant��e; j'ai regard�� Jacques d'un air ��tonn�� et peut-��tre m��me fach��, comme s'il m'e?t fait jusque-l�� un mensonge. Il est certain pourtant qu'il ne m'a jamais parl�� de son age, et que je n'ai jamais song�� �� le lui demander. Je suis s?re qu'il me l'aurait dit sur-le-champ, car
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