Jacques | Page 3

George Sand
me semble qu'il a le sourire triste, le regard m��lancolique, le front serein et l'attitude fi��re; en tout, l'expression d'une ame orgueilleuse et sensible, d'une destin��e rude, mais vaincue. Ne me dis pas que je fais des phrases de roman; si tu voyais Jacques, je suis s?re que tu trouverais tout cela en lui, et bien d'autres choses sans doute que je ne saisis pas, car j'ai encore avec lui une timidit�� extraordinaire, et il me semble que son caract��re renferme mille particularit��s qu'il me faudra bien du temps pour conna?tre et peut-��tre pour comprendre. Je te les raconterai jour par jour, afin que tu m'aides �� en bien juger; car tu as bien plus de p��n��tration et d'exp��rience que moi. En attendant, je veux t'en dire quelques-unes.
Il a certaines aversions et certaines affections qui lui viennent subitement et d'une mani��re tant?t brutale, tant?t romanesque, �� la premi��re vue. Je sais bien que tout le monde est ainsi, mais personne ne s'abandonne �� ses impressions avec l'aveuglement ou l'obstination de Jacques. Quand il a re?u de la premi��re vue une impression assez forte pour porter un jugement, il pr��tend qu'il ne le r��tracte jamais. Je crains que ce ne soit l�� une id��e fausse et la source de bien des erreurs et peut-��tre de quelques injustices. Je te dirai m��me que je crains qu'il n'ait port�� un jugement de ce genre sur ma m��re. Il est certain qu'il ne l'aime pas et qu'elle lui a d��plu d��s le premier jour; il ne me l'a pas dit, mais je l'ai vu. Lorsque M. Borel le tira de sa m��ditation et de son nuage de tabac pour nous le pr��senter, il vint comme malgr�� lui, et nous salua avec une froideur glaciale. Ma m��re, qui a les mani��res hautes et froides, comme tu sais, fut extraordinairement aimable avec lui. ?Permettez-moi de vous prendre la main, lui dit-elle; j'ai beaucoup connu monsieur votre p��re, et vous quand vous ��tiez enfant.--Je le sais, Madame,? r��pondit Jacques s��chement et sans avancer sa main vers celle de ma m��re. Je crois qu'elle dut s'en apercevoir, car cela ��tait tr��s-visible; mais elle est trop prudente et trop habile pour avoir jamais une attitude gauche. Elle feignit de prendre la r��pugnance de M. Jacques pour de la timidit��, et elle insista en lui disant: ?Donnez-moi donc la main; je suis pour vous une ancienne amie.--Je m'en souviens bien, Madame,? r��pondit-il d'un ton encore plus ��trange; et il serra la main de ma m��re d'une mani��re presque convulsive. Cette mani��re fut si singuli��re que les Borel se regard��rent d'un air ��tonn��, et que ma m��re, qui n'est pourtant pas facile �� d��concerter, retomba sur sa chaise plut?t qu'elle ne se rassit, et devint pale comme la mort. Un instant apr��s, Jacques retourna dans le jardin, et ma m��re me fit chanter une romance dont parlait Eug��nie. Jacques m'a dit depuis qu'il m'avait ��cout��e sous la fen��tre, et que ma voix lui avait ��t�� sur-le-champ tellement sympathique qu'il ��tait rentr�� pour me regarder; jusque-l�� il ne m'avait pas vue. De ce moment il m'a aim��e, du moins il le dit; mais je te parle d'autre chose que de ce que j'ai dessein de te dire.
Nous en ��tions aux singularit��s de Jacques; je veux t'en raconter une autre. L'autre jour il vint nous voir au moment o�� je sortais de la maison avec une soupe dans une ��cuelle de terre et un tablier d'indienne bleue autour de moi; j'avais pris la petite porte de derri��re pour ne rencontrer personne dans ce bel ��quipage. Le hasard voulut que M. Jacques, par un caprice digne de lui, se f?t engag�� dans cette ruelle avec son beau cheval. ?O�� allez-vous ainsi?? me dit-il en sautant �� terre et en me barrant le passage. J'aurais bien voulu l'��viter, mais il n'y avait pas moyen. ?Laissez-moi passer, lui dis-je, et allez m'attendre �� la maison; je vais porter �� manger �� mes poules.--Et o�� sont-elles donc vos poules? Parbleu! je veux les voir manger.? Il mit la bride sur le cou de son cheval en lui disant: ?Fingal, allez �� l'��curie;? et son cheval, qui entend sa parole comme s'il connaissait la langue des hommes, ob��it sur-le-champ. Alors Jacques m'?ta l'��cuelle des mains, enleva sans fa?on le couvercle, et, voyant une soupe de bonne mine: ?Diable! dit-il, vous nourrissez bien vos poules! Allons, je vois que nous allons chez quelque pauvre. Il ne faut pas me faire un secret de cela, �� moi; c'est une chose toute simple et que j'aime �� vous voir faire par vous-m��me. J'irai avec vous, Fernande, si vous me le permettez.? Je mis mon bras sous le sien, et nous marchames vers la maison de la vieille Marguerite, dont je t'ai parl�� souvent. M. Jacques portait toujours la soupe avec ses
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