Jacques Cartier | Page 3

Émile Chevalier
de combustible, attendent-ils patiemment que le retour du printemps leur permette de sortir de cette baie, dans laquelle les a surpris et emprisonn��s un hiver trop pr��coce. Disons plus: n'��tait la crainte d'��tre, chaque jour, investis et massacr��s par une bande de sauvages qui les harcellent continuellement ils s'estimeraient, pour la plupart, heureux comme pas un mortel sur notre plan��te sublunaire.
Voyez-les r��unis dans l'entrepont, avec leurs mines r��jouies autant que hardies; voyez-les affubl��s de grossi��res mais chaudes fourrures, et press��s autour d'un ��norme po��le de fonte, qui ronfle comme un soufflet de forge ou une personne trop bourr��e d'aliments. Les uns jouent aux d��s, d'autres sommeillent, ceux-ci grignotent un morceau de biscuit; ceux-l�� babillent.
Tous sont Bretons,--Normands tout au plus, j'en jurerais.
Pr��tons l'oreille, aux causeries.
--Min Gieu, disait Jean Morbihan, min Gieu, nous avons encore, �� bord de la Catherine, six barriques de gwin ardant [5] et vingt-cinq de cidre... tant qu'il en restera une goutte, je ne demanderai pas �� m'en aller d'ici, non da!
[Note 5: Eau-de-vie, eau-de-feu.]
--Tu as, ma foi, bien raison, appuya Charles Guyot; puisque nous avons pris le poisson, vaut mieux le manger entre compagnons que de le rapporter sans profit pour nous, aux bourgeois...
--Le fait est, fit un troisi��me, que la p��che a ��t�� miraculeuse, cette ann��e, en l'an de grace mil cinq cent vingt...
--Dis mil cinq cent vingt-un, l'Enrhum��, interrompit Jean Morbihan; mil cinq cent vingt-un, da oui; car nous sommes aujourd'hui le dix-huiti��me jour de l'ann��e suivante, ajouta-t-il d'un ton convaincu.
--De vrai, reprit Charles Guyot, il y aura un an, le 11 mars prochain, que nous avons d��marr�� du hable de Saint-Malo, et l'on esp��rait ��tre de retour �� la mi-octobre.
--Min Gieu, c'est pure, v��rit��, confirma Jean.
--Pourquoi diable aussi le capitaine s'est-il obstin�� �� faire la chasse aux loups marins! marronna un nouvel interlocuteur. N'avions-nous pas une assez forte cargaison de molues? mais c'est un ambitieux que le capitaine!
--Un ambitieux! peux-tu parler comme ?a, Grogne-Toujours! s'��cria Morbihan avec indignation. Ma?tre Jacques est le plus digne, le meilleur des pilotes et des chefs, poursuivit-il avec un accent qui d��fiait toute contradiction.
--Jean a raison, affirm��rent plusieurs voix.
--Oh! ce que j'en dis, c'est histoire de parler, repartit Grogne-Toujours. Du reste, moi je suis aussi mal ici qu'ailleurs. Et si ce n'��tait ce brigand de froid...
--Et ces brigands de Peaux-Rouges de l'enfer, qui ont tu�� et d��vor�� sans doute nos deux pauvres camarades...
A ce moment, un coup de sifflet imp��ratif retentit.
--C'est ma?tre Jacques qui m'appelle, dit Jean Morbihan se levant et se dirigeant pr��cipitamment vers la poupe du navire.
Un jeune homme de belle prestance, de mine audacieuse et intelligente, se tenait au seuil de la cabine ou chambre, qu'une mince cloison s��parait de l'entrepont.
--Entre, dit-il, au matelot.
Celui-ci ob��it et, se courbant, p��n��tra dans une petite pi��ce, ch��tivement meubl��e d'un po��le, une table, une couchette ��troite, une horloge marine, des instruments de math��matiques et quelques cartes rudement dessin��es, o�� la mer ��tait figur��e par de gros bouillons.
Le jeune homme rentra dans la cabine, dont il ferma la porte. Puis il s'assit, s'accouda �� la table, et plongeant ses regards dans les yeux du matelot, qui demeurait respectueusement debout, immobile, attendant des ordres:
--Nos gens sont-ils toujours de bonne humeur? demanda-t-il en bas-breton.
--Toujours, ma?tre Jacques, toujours.
--Ils ne se plaignent pas?
--Non da! De quoi est-ce qu'ils pourraient se plaindre! Min Gieu! ils seraient donc bien difficiles!
--C'est vrai! prof��ra ma?tre Jacques, comme s'il se parlait �� lui-m��me; pourvu qu'ils aient �� boire, �� manger, peu de besogne, ils se trouvent contents. La gloire, ni l'amour ne les tourmente, eux! Ah! si je ne r��vais de conqu��tes, de d��couvertes et surtout de ma ch��re Catherine....
--Et que vous pouvez y penser �� notre patronne! elle est, ma foi, bien assez accorte pour qu'on ne l'oublie pas, apr��s un au de mariage! dit famili��rement le matelot.
--Oui, mon vieux Jean, j'y pense souvent, trop souvent! soupira ma?tre Jacques.
--Trop souvent! Min Gieu! capitaine, si j'avais jamais eu pour ��pouse une cr��ature comme ?a: une taille comme la plus fine corvette qui oncques d��bouqua du port de Saint-Malo; des yeux grands comme des ��cubiers, et un visage, un visage, que...
--N'est-ce pas qu'elle est charmante? dit ma?tre Jacques, en souriant de l'enthousiasme du vieux marin.
--Charmante comme notre go?lette, dont dame Catherine a ��t�� la marraine! si charmante, s'��cria celui-ci, qu'�� votre place, je ne l'aurais pas quitt��e pour venir p��cher la molue? N'��tes-vous pas assez riche?
--Tu aurais donc renonc�� �� la mer, hein! si j'��tais rest�� �� Saint-Malo, toi qui m'as ��lev�� et enseign�� l'art de piloter un navire?
--Min Gieu! ma?tre, ?'aurait ��t�� dur d'abandonner le m��tier o�� je suis n��; mais, voyez-vous, pour demeurer avec vous et la patronne, qu'est-ce que je ne ferais pas?... Da oui!
--Tu es un brave, Jean, donne-moi la main, dit le jeune homme, qui pressa chaleureusement dans les siens les doigts calleux du matelot..
Puis il
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