elles ne respiraient la plus intense
bouffonnerie.
«Me défendre de pareils cancans, allons donc? Le bon sens public en a
fait justice et je n'ai peur que d'une chose, pour les auteurs de ces naïves
calomnies: c'est que, curieux d'épater les badauds et de divertir les
sceptiques, ils n'aient fait rire beaucoup plus à leurs dépens qu'aux
miens.
«J'avais d'abord l'idée de m'en tenir au silence du plus parfait dédain...
Je me disais: laissons tomber ces plaisanteries d'un goût fâcheux, et que
nul ne rééditera. Je me trompais. De toutes parts, en dépit même de la
diversion du Panama, des feuilles quotidiennes reproduisent gravement
ces pauvretés!...
«Donc, mon intention était de me taire. Mais ces sottes histoires
menacent enfin de s'éterniser. La patience a des bornes et c'est
décidément trop de ridicule pour une fois:
«On me demande à grands cris des explications... Les meilleures, en
pareil cas, se donnent sur le pré. C'est du moins mon avis.
«Mais à qui m'en prendre?
«A M. Huysmans d'abord: à tout seigneur, tout honneur! A M.
Huysmans, qui, dans son roman Là-Bas, et depuis la publication de ce
livre, n'a cessé de se faire l'écho central de ces invraisemblables
calomnies;--à M. Huysmans, qui a permis qu'on publiât les folles lettres
où M. Boullan me désigne comme son persécuteur;--à M. Huysmans
enfin, dont la rectification parue dans un journal du matin souligne en
quelque sorte les calomnies qu'on lui prêtait à mon endroit, plutôt
qu'elle ne les atténue.
«Donc à M. Huysmans tout d'abord. Puis ensuite, à M. Jules Bois, qui
m'a pris à partie par trois fois dans le Gil Blas.
«En conséquence j'ai envoyé des témoins à ces deux derniers...»
Jules Bois riposta, toujours, dans le Gil Blas:
«M. Stanislas de Guaita, le chef de la Rose-Croix, répond enfin.
«Il se défend même et mal; je dirai plus, il s'accuse encore. Il s'empêtre
dans les pièges qu'il tend et le magicien noir décrit en connaissance de
cause ses propres maléfices; il se mire dans ses envoûtements...
«Mais quand il s'agit de se défendre de ce soupçon de satanisme, M. de
Guaita recule et tente une diversion.
«Il change de terrain; il sort de la discussion; il quitte la plume et prend
l'épée, dont il se croit plus sûr.
«Eh bien, je puis lui répondre hautement que si je l'ai attaqué de face, si
je soutiens qu'il a poursuivi d'une haine implacable ce vieillard qui
maintenant n'est plus, je serai devant lui, Stanislas de Guaita, sur le pré,
avec la même audace.
«On ne «calomnie» pas, Monsieur de Guaita, quand on défend un mort
et quand on protège une idée! Vous, vous jugez, vous condamnez, vous
exécutez votre sentence. Votre tribunal, s'il n'est pas horrible, n'est
qu'une triste bouffonnerie, et puisque vous vous déclarez mage, je vous
citerai l'exemple de vos maîtres, de nos maîtres, de Jésus, de Boudha,
de Pythagore, de Platon, de Socrate, qui ne surent que mourir et
pardonner.
«Et maintenant, paix à Boullan, qu'il repose désormais tranquille; sa
querelle renaît entre les vivants, et M. Stanislas de Guaita sait bien que
nous ne sommes pas des hommes politiques, que contre lui nous ne
commencerons pas une guerre mesquine de petits papiers...»
Le duel avec Huysmans n'eut pas lieu; tout se borna à un échange de
témoins, Huysmans ayant déclaré «qu'il n'avait jamais songé à discuter
le caractère de parfait galant homme de M. de Guaita» (Procès-verbal
du 14 janvier 1893). Quant à Jules Bois, il tint parole. Les deux
adversaires descendirent sur le pré, à la Tour de Villebon, où ils
échangèrent deux balles sans résultat[10].
[Note 10: M. Paul Foucher, neveu de Victor Hugo, qui fut un des
témoins de Jules Bois dans son duel avec Stanislas de Guaita, a raconté,
dans une de ses chroniques du Sud-Ouest Toulouse, les incidents
singuliers qui accompagnèrent cette rencontre. Au moment de partir
pour la Tour de Villebon, Jules Bois dit à Paul Foucher: «Vous verrez
qu'il arrivera quelque chose de singulier. Des deux côtés, nos partisans
prient pour nous et s'adonnent à des conjurations!»
Un événement étrange, raconte le chroniqueur, se produisit en effet sur
la route de Versailles. L'un des chevaux du landau s'arrêta subitement et
se mit à trembler, flageolant sur ses jambes comme s'il avait aperçu le
démon en personne. Il fallut changer de cheval. Cette fois le second
cheval s'abattit. Ils durent changer de voiture. Le cheval qui conduisait
cette seconde voiture s'abattit comme les deux premiers; le véhicule fut
renversé et Jules Bois arriva sur le terrain tout meurtri et tout sanglant.
Le diable, disait M. Paul Foucher, paraissait réellement s'en être mêlé!]
Nous avons vu que l'abbé Boullan ne méritait pas cette réputation de
saint qui lui avait été faite. Nous savons aussi qu'il se livrait, à sa
manière, aux pratiques sataniques; et Huysmans put

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