sauvage qui semble accompagner leur action et
qui se communique aux témoins de ces cataclysmes; enfin, planant sur
tout cela, la grande pensée de la Bible, l'intervention directe et
miraculeuse de Jéhova, et le salut promis solennellement au peuple par
son Dieu. «Quand même tu serais suspendu dans le vide du ciel ou
recouvert tout entier par les vagues de la mer, je serais encore avec toi»
dit le Seigneur.
«Ils frémirent de boire au fleuve: Dieu changea les eaux en sang.» Le
thème fugué qui traduit ce verset est significatif, par l'inattendu des
intervalles, par la violence du rythme, par une courte descente
chromatique, de l'horreur qu'inspire à l'Égypte son fleuve puant, rouge,
où les poissons flottent putréfiés. On devine l'immense nausée de tout
le peuple qui se voit inondé de sang: il y en a plein les cuves et plein les
auges. Le choeur se développe à quatre voix seulement, compact, sans
alternances; à peine les basses s'interrompent-elles un moment pour
reprendre avec plus de force et de poids. Quelle clameur! Elle semble
dire: «Bois si tu peux, Pharaon; si tu n'es pas trop dégoûtée, bois, terre
d'Égypte.»
Puis c'est le tour des grenouilles. Peut-être Hændel a-t-il consacré un
solo à cette plaie parce que, dans le vaste tumulte d'un choeur, les
bonds des grenouilles eussent pu donner lieu à des incidents burlesques.
Il ne risquait rien de pareil en confiant à une voix sévère cette partie du
récit.
Après viennent d'innombrables insectes. «Il dit une parole» crient
toutes les voix viriles; et aussitôt, des quatre points du ciel, les nuages
de bestioles ailées fondent sur l'Égypte. Il semble que des voix d'anges,
de claires voix d'argent, pures et joyeuses, retentissent dans les régions
supérieures: toutes les voix de femmes, se mêlant à la tierce ou à la
sixte, chantent accompagnées seulement par une fanfare de trombones:
«Et il vint toute sorte de mouches; d'innombrables essaims de rongeurs
ailés s'abattirent sur le pays.» Un trait de violons court à l'orchestre
avec une rapidité vertigineuse et bientôt enlace le choeur tout entier
d'une fuyante ceinture de triples croches. Mendelssohn se souviendra
de ce trait de violons. «Il dit: les sauterelles arrivèrent sans nombre et
dévorèrent les fruits du sol.» Le choeur s'achève par quelques
triomphales mesures de l'orchestre, où le basson n'oublie pas de mêler
ses comiques réflexions. La sonorité de l'ensemble, avec les dialogues
de voix au timbre différent, l'opposition fréquente des deux choeurs, les
clairs accords de trombones et la fuite éperdue des instruments à cordes,
est tout à fait éblouissante.
Le choeur de la grêle dégage une singulière hilarité. On ne saurait
exprimer avec plus de verve la joie de détruire. Quelle bonne humeur
dans la férocité! C'est un allegro à trois temps, dont le début rappelle un
concerto d'orgue de Bach (en ut majeur). Il faut entendre ces cris de
joie formidables. Rien n'égale la plénitude des choeurs de Hændel; on a
l'oreille saturée d'harmonie, et l'on résiste malaisément au désir
d'entonner les parties l'une après l'autre, voire même toutes à la fois.
Mais de temps en temps gronde la timbale. C'est que notre grêle est
entremêlée de globes de feu, d'éclairs et de tonnerres: il s'agit d'une
grêle extraordinairement terrible. Remarquez le puissant effet de toutes
ces syllabes entrecoupées, que les basses des deux choeurs enveloppent
d'une vocalise tonitruante. Et brusquement, dans le créneau de silence
formé par les voix qui se taisent une seconde et qui vont reprendre avec
fureur, flamboie l'éclair d'une trompette. Le tout s'achève par un
fortissimo qui est à hurler de joie.
La Bible nous dit qu'après chacune des plaies qui frappèrent l'Égypte
Dieu prit soin de raidir le coeur de Pharaon, afin qu'il ne tînt aucun
compte des leçons cruelles qu'on lui donnait. Sans cela il serait
vraiment inexplicable qu'après le Nil changé en sang, les grenouilles,
les mouches, les sauterelles, la peste et les pustules, et encore cette
grêle mêlée d'éclairs, il se fût obstiné à retenir les Hébreux. Mais voici
une plaie plus affreuse que les autres. Moïse étendit sa main vers le ciel:
et les ténèbres descendirent sur le pays d'Égypte. Elles durèrent trois
jours. Ces ténèbres, Hændel les a rendues visibles et palpables, il en a
presque donné l'odeur et le goût funèbres par un choeur à quatre voix,
d'une extrême lenteur, qui fait la nuit autour de ceux qui l'écoutent, qui
leur oppresse le coeur et qui les terrifie. Je ne sais rien qui donne plus
fortement l'impression d'une hideuse réalité. Au début le son de
l'orchestre est voilé: des hautbois et des violons jouant dans le grave se
mêlent au basson, et il en résulte quelque chose comme la sonorité
mystérieuse de cors que l'on écouterait en rêve. Ceci montre que
Hændel savait, lorsqu'il le jugeait à propos, fondre les diverses voix de
l'orchestre
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