Israël en Égypte | Page 7

Maurice Bouchor
en raison de la simplicité des moyens, est beaucoup plus apte que celle de Bach à être exécutée par de grandes masses chorales. Mais si H?ndel est toujours simple, précis, lumineux, il ne faudrait pas s'imaginer qu'il se contente aisément et qu'il ne pousse pas très loin la recherche. Il a des combinaisons qui peuvent se réduire à un petit nombre; mais il les emploie avec une infaillible s?reté. Il est précieux pour un écrivain d'avoir une infinité de vocables à son service; mais l'art d'écrire ne consiste-t-il pas avant tout dans un groupement harmonique et imprévu de mots généralement très simples? On peut dire que, dans la musique chorale de H?ndel, pas une note n'est perdue. Rien n'échappe de sa pensée. Pour moi, qui n'ai pourtant qu'une connaissance très sommaire de l'art musical, je ne go?te jamais aussi vivement la joie de comprendre que lorsque j'écoute la musique de Bach ou de H?ndel, Bach exigeant d'ailleurs un peu plus d'effort. C'est quelque chose comme le plaisir qu'on éprouve à pénétrer jusqu'au fond d'une vérité scientifique, plaisir connu, je pense, de peu de personnes. Loin de diminuer l'émotion, cette extrême clarté ne fait que la rendre plus directe et plus forte. Je ne crois pas avoir plus d'aptitude à comprendre Bach et H?ndel que d'autres ma?tres aussi profondément admirés, Beethoven, par exemple; mais je me figure que ces deux-là sont vraiment les plus intelligibles de tous. Quoi qu'il en soit, jamais je n'ai retrouvé, à entendre les merveilleux choeurs de Wagner (_Lohengrin, Ma?tres chanteurs, Parsifal_), ceux de Mozart et de Gluck, ni même ceux de la neuvième Symphonie, que rien ne dépasse en sublimité, cette joie entière, physique aussi bien qu'intellectuelle, fortifiante au suprême degré, dont je me sens inondé par les choeurs resplendissants de Bach et de H?ndel. Après s'en être repu pendant trois heures, on est la mansuétude même; mais il semble qu'on tuerait un homme d'un coup de poing.
Les doubles choeurs d'_Isra?l en égypte_ présentent un vif intérêt pour qui cherche à se rendre compte de l'art souverain avec lequel le ma?tre groupe les voix, lance une attaque, met en lumière une phrase essentielle, laisse éparses toutes les forces dont il dispose et brusquement les concentre pour frapper un grand coup. Dans le choeur d'ouverture, ce sont par exemple les ténors qui exhalent une plainte aigu?, renforcée par les contralti à l'unisson. Cela ne fait que passer: toutes les voix, maintenant, gémissent, sauf les ténors et basses du deuxième groupe, qui font entendre le même chant rapide et plein d'angoisse; puis les basses du premier choeur sont entra?nées avec les autres, et les ténors, qui s'élèvent brusquement, suivent le dessin de la basse, mais à un intervalle de dixième au-dessus. Parfois, l'unisson de toutes les voix males est rendu plus terrible par les contralti qui viennent s'y associer, et qui chantent à une profondeur incroyable. écoutez, pendant que les voix féminines, avec les ténors du premier choeur, se mêlent ou se répondent, cette lente, lugubre, douloureuse ascension des voix d'hommes! Et quels soupirs, quelles prières courtes et ardentes passent de temps à autre dans le tumulte, flottent, pour y être bient?t submergées, sur le torrent de la sauvage lamentation! Elle s'achève par le plain-chant du début, mais avec une extraordinaire puissance, car cette fois toutes les bouches du choeur crient l'angoisse du peuple opprimé.
?Je n'ai pas l'oreille trop dure pour entendre? dit le Seigneur. Aussi l'égypte sera frappée d'horribles plaies; et l'éternel conduira miraculeusement son peuple hors de la terre de Cham, lui ayant frayé un chemin à travers la Mer Rouge. Tel est le sujet de la première partie d'_Isra?l en égypte_, après le choeur qui en est le prélude.
En écoutant proférer par la foule qui, dans _Isra?l_, est le principal interprète du ma?tre, tant de malédictions, suivies de calamités horribles, j'admirais une fois de plus les ressources de la musique, qui groupe en un faisceau indestructible toutes les impressions nées du même sujet. Elle sait fondre dans une vivante unité les émotions les plus diverses. Les choeurs relatifs aux plaies de l'égypte ne sont pas tous con?us dans le même esprit; il fallait cela pour animer une aussi longue suite de désastres; mais, avec une proportion variable, on trouverait dans la plupart d'entre eux l'exaltation féroce de l'opprimé qui voit infliger à son ma?tre la dure peine du talion, même un chatiment très supérieur à l'offense; l'épouvante et l'horreur devant les plaies de l'égypte; la magnificence du spectacle lorsque les forces de la nature sont décha?nées, avec la joie sauvage qui semble accompagner leur action et qui se communique aux témoins de ces cataclysmes; enfin, planant sur tout cela, la grande pensée de la Bible, l'intervention directe et miraculeuse de Jéhova, et le salut promis solennellement au peuple par son Dieu. ?Quand même tu serais
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