de sa chaise, mais ne paraissait pas plus grande debout qu'assise; je m'inclinai profondément devant elle; elle m'honora d'un petit plongeon brusque; elle avait d? recevoir à un certain age quelque formidable événement sur la tête; celle-ci en était restée irrémédiablement enfoncée entre les épaules; et même un peu de travers. Monsieur Floche s'était mis tout à c?té d'elle pour me tendre la main. Les deux petits vieux étaient exactement de même taille, de même habit, paraissaient de même age, de même chair ... Durant quelques instants nous échangeames des compliments vagues, parlant tous les trois à la fois. Puis, il y eut un noble silence, et Mademoiselle Verdure arriva portant la théière.
--Mademoiselle Olympe, dit enfin Madame Floche, qui, ne pouvant tourner la tête, s'adressait à vous de tout le buste.--Mademoiselle Olympe, notre amie, s'inquiétait beaucoup de savoir si vous aviez bien dormi et si le lit était à votre convenance.
Je protestai que j'y avais reposé on ne pouvait mieux et que la cruche chaude que j'y avais trouvée en me couchant m'avait fait tout le bien du monde.
Mademoiselle Verdure, après m'avoir souhaité le bonjour, ressortit.
--Et, le matin, les bruits de la cuisine ne vous ont pas trop incommodé?
Je renouvelai mes protestations.
--Il faut vous plaindre, je vous en prie, parce que rien ne serait plus aisé que de vous préparer une autre chambre ...
Monsieur Floche, sans rien dire lui-même, hochait la tête obliquement et, d'un sourire, faisait sien chaque propos de sa femme.
--Je vois bien, dis-je, que la maison est très vaste; mais je vous certifie que je ne saurais être installé plus agréablement.
--Monsieur et Madame Floche, dit l'abbé, se plaisent à gater leurs h?tes.
Mademoiselle Olympe apportait sur une assiette des tranches de pain grillé; elle poussa devant elle le petit estropié que j'avais vu culbuter tout à l'heure. L'abbé le saisit par le bras:
--Allons, Casimir! Vous n'êtes plus un bébé; venez saluer Monsieur Lacase comme un homme. Tendez la main ... Regardez en face!... puis se tournant vers moi comme pour l'excuser:--Nous n'avons pas encore grand usage du monde ...
La timidité de l'enfant me gênait:
--C'est votre petit-fils? demandai-je à Madame Floche, oublieux des renseignements que l'abbé m'avait fournis la veille.
--Notre petit-neveu, répondit-elle; vous verrez un peu plus tard mon beau-frère et ma soeur, ses grands-parents.
--Il n'osait pas rentrer parce qu'il avait empli de boue ses vêtements en jouant avec Terno, expliqua Mademoiselle Verdure.
--Dr?le de fa?on de jouer, dis-je, en me tournant affablement vers Casimir; j'étais à la fenêtre quand il vous a culbuté ... Il ne vous a pas fait mal?
--Il faut dire à Monsieur Lacase, expliqua l'abbé à son tour, que l'équilibre n'est pas notre fort ...
Parbleu! je m'en apercevais de reste, sans qu'il f?t nécessaire de me le signaler. Ce grand gaillard d'abbé, aux yeux vairons, me devint brusquement antipathique.
L'enfant ne m'avait pas répondu, mais son visage s'était empourpré. Je regrettai ma phrase et qu'il y e?t pu sentir quelque allusion à son infirmité. L'abbé, son potage pris, s'était levé de table et arpentait la pièce; dès qu'il ne parlait plus, il gardait les lèvres si serrées que celle de dessus formait un bourrelet, comme celle des vieillards édentés. Il s'arrêta derrière Casimir, et comme celui-ci vidait son bol: --Allons! Allons, jeune homme, Avenzoar nous attend!
L'enfant se leva; tous deux sortirent.
Sit?t que le déjeuner fut achevé, Monsieur Floche me fit signe.
--Venez avec moi dans le jardin, mon jeune h?te, et me donnez des nouvelles du Paris penseur.
Le langage de Monsieur Floche fleurissait dès l'aube. Sans trop écouter mes réponses, il me questionna sur Gaston Boissier son ami, et sur plusieurs autres savants que je pouvais avoir eus pour ma?tres et avec qui il correspondait encore de loin en loin; il s'informa de mes go?ts, de mes études ... Je ne lui parlai naturellement pas de mes projets littéraires et ne laissai voir de moi que le sorbonnien; puis il entreprit l'histoire de la Quartfourche, dont il n'avait à peu près pas bougé depuis près de quinze ans, l'histoire du parc, du chateau; il réserva pour plus tard l'histoire de la famille qui l'habitait précédemment, mais commen?a de me raconter comment il se trouvait en possession des manuscrits du XVIIme siècle qui pouvaient intéresser ma thèse ... Il marchait à petits pas pressés, ou, plus exactement, il trottinait auprès de moi; je remarquai qu'il portait son pantalon si bas que la fourche en restait à mi-cuisse; sur le devant du pied, l'étoffe retombait en nombreux plis, mais par derrière restait au-dessus de la chaussure, suspendue à l'aide de je ne sais quel artifice; je ne l'écoutais plus que d'une oreille distraite, l'esprit engourdi par la moitiédeur de l'air et par une sorte de torpeur végétale. En suivant une allée de très hauts marronniers qui formaient vo?te au-dessus de nos têtes, nous étions parvenus presque à l'extrémité du parc.
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