Influence morale des sports athlétiques | Page 5

Henri Didon
par leur vote.
Je n'ai jamais vu des sportifs battre en brèche l'autorité du président
librement choisi par eux. Au contraire, ils font prévaloir cette autorité et
ils savent la défendre quand on l'attaque. Ces moeurs, transportées dans
une démocratie, en assureront la fortune et la prospérité. (Vifs
applaudissements.)
Je le dis très haut, voilà les élèves que j'essaie de former. Monsieur le
représentant du Ministre de l'Instruction publique, voulez-vous me
permettre de dire que je ne comprends pas que, lorsque vous voyez un
établissement qui travaille dans cet ordre d'idées, il ne soit pas
considéré comme un établissement luttant pour le bien de la France et
l'avenir de la démocratie. Nous pouvons être des concurrents, nous
devons être des concurrents, parce qu'il est excellent que, dans un pays
de liberté, la centralisation soit entamée par des hommes libres et
chevaleresques. Mais c'est tout.
Nous livrons le combat comme nous croyons devoir le livrer, mais nous
luttons pour la même cause. Nous présentons notre épée en signe
d'amitié, comme le fait un chevalier. Jamais il ne faut attaquer un
chevalier, un ami du droit et de l'indépendance: on entre en pourparlers
avec lui, mais on ne s'expose pas à lui faire la guerre, car l'attaquer,
c'est entrer en lutte contre la justice et la liberté. (Très bien! très bien!)
Je ne puis pas, Mesdames et Messieurs, méconnaître que l'oeuvre des
sports a des adversaires. M. de Coubertin traiterait cette question
beaucoup mieux que moi, parce qu'il a été de toutes les batailles que les
associations sportives ont soutenues, et il le ferait avec d'autant plus
d'éloquence qu'ayant été de toutes les batailles, il les a toutes gagnées.
En ce qui me concerne, j'aime beaucoup la bataille, surtout si je la
gagne. (Rires et applaudissements.) Mais je ne livre le combat que
quand je crois être sûr du succès, sinon j'attends--mais je n'attends
jamais longtemps. (On rit.) Dès que mes troupes sont bien prêtes, que
les armes sont au complet, alors je donne le signal du combat. Je puis
être battu, mais j'ai toujours assuré ma ligne de retraite.

Quels sont donc, Messieurs, les adversaires des sports? Je les classe en
trois catégories: les passifs, les affectifs et les intellectuels. J'emprunte
ces termes au docteur Tissié et je suis heureux de me servir de cette
jolie étiquette. Mais je les définirai autrement: les affectifs, c'est vous,
Mesdames. Le plus grand ennemi des sports, c'est la mère. Combien
ai-je entendu de mères me dire: «Et surtout que mon fils ne joue pas au
football!
--Madame, votre fils vous appartient et il n'y jouera pas, si vous le
défendez. Mais pourquoi le défendez-vous? Vous êtes calme en ce
moment, causons.--Vous voulez donc que mon fils se casse une jambe,
un bras, qu'il meure?--Non, Madame, je veux qu'il vive; et si on lui
casse une jambe, nous la lui raccommoderons. (On rit.)--Ah! vous voilà
bien!--Ne savez-vous pas qu'une jambe raccommodée est beaucoup
plus solide qu'une neuve?» (Hilarité. Vifs applaudissements.)
Vous voyez quelle est la résistance du sentiment. Et, à ce propos, je me
rappelle un mot de Claude Bernard, dont j'ai suivi les cours autrefois. Il
s'agissait alors de la vivisection et les affectifs étaient en mouvement.
Toujours les sentimentaux!
Les Anglaises avaient fondé une Ligue contre la vivisection, et Claude
Bernard faisait remarquer qu'on ne pouvait pas discuter avec les
sentimentaux, parce qu'une raison, même la meilleure, ne peut pas
mordre sur un sentimental. Le sentiment ne se laisse jamais persuader.
«Comment! vous allez disséquer vivants mon chat, mon chien, mon
petit lapin», disaient les membres de la Ligue contre la vivisection!
Et Claude-Bernard faisait cette réflexion dans sa raison supérieure:
J'admire comment ces êtres de sentiment, si pleins de compassion pour
les bêtes, en ont si peu pour la pauvre humanité! «Comment apprendre
à la guérir, si ce n'est en taillant les bêtes, en les examinant à l'intérieur
pour y chercher l'énigme de la maladie et surprendre le secret de la
guérison.» (Applaudissements répétés.)
Malgré l'opposition tenace des sentimentaux, la vivisection a continué à
être pratiquée et vous savez de quelles heureuses découvertes elle a été
le point de départ.

Avec toute votre sentimentalité, Mères, vous n'empêcherez pas votre
enfant de jouer. C'est l'enfant lui-même qui vous persuadera. Quand il
voudra se donner du mouvement, l'attacherez-vous, le ligoterez-vous
pour qu'il n'exerce pas sa force avec ses camarades? Il veut être plus
fort qu'eux et vous ne l'en défendrez pas; si bien que, malgré l'objection
des affectifs, les associations sportives continueront à se développer.
Une autre objection est celle des éternels réactionnaires: les passifs, les
partisans de ce qui fut; les ennemis nés et acharnés de ce qui doit être.
Une nouveauté! Pourquoi faire? Cela n'existait pas autrefois. Vous
connaissez le thème. Le mouvement nouveau les effraye et, malgré tous
nos efforts, vous voyez encore
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