Infernaliana | Page 8

Ch. Nodier
vent. Baudouin insista, et saisissant les deux coupables qui cherchaient à s'éloigner, il les ramena au pied de l'arbre. Là, suppliant quelques jeunes gens de le seconder et de l'aider à les retenir, il fit découvrir le tas de pierres sous lequel on trouva la terre fra?chement remuée. Tout le monde surpris, partagea l'impatience de Baudouin; on courut chercher des instrumens; on retint fortement Lalonde et Piétreville qui blasphémaient et accablaient Baudouin d'imprécations. On ouvrit la terre et l'on vit le cadavre d'Olivier, vêtu d'un habit vert et percé de vingt coups de couteau. Tous les assistans furent glacés d'horreur; le père d'Olivier s'évanouit, et Baudouin s'écria d'une voix forte:?Voilà le crime et voici les assassins. Secourez ce père infortuné. Qu'on porte ce cadavre devant les juges; et que Lalonde, Piétreville et moi, soyons sur-le-champ conduits dans les prisons.?
On exécuta tout ce que Baudouin avait demandé; la justice se saisit de cette affaire, et le procès s'entama dès le lendemain. Les formalités préliminaires furent bient?t remplies; le jour de la discussion arriva. Les magistrats s'assemblèrent; l'accusateur et les accusés se trouvèrent en présence, mais il n'y avait point d'autre témoin que le cadavre du malheureux Olivier, étendu sur une table au milieu de la salle d'audience, et tel qu'il avait été retiré de terre. L'interrogatoire commen?a. Baudouin répéta avec fermeté son accusation: les deux criminels, certains qu'on ne peut produire ni preuves, ni témoins contr'eux, nient le forfait avec audace. Ils accusent à leur tour Baudouin comme calomniateur, et appellent sur lui la rigueur des lois. La foule immense qui remplit la salle, attend avec impatience, l'éclaircissement de ces singuliers débats. Enfin Baudouin, pressé par le président, de présenter au tribunal les témoins et les preuves du crime, reprend la parole; il invoque l'ombre d'Olivier, il montre le cadavre sanglant, et cherche par cette preuve à faire trembler les assassins; mais dénué de témoignage, il sent qu'un miracle seul peut éclairer les juges. Il s'adresse donc avec confiance à l'être suprême, et lui demande qu'il permette que la mort abandonne un moment ses droits: ?Grand Dieu, ressuscite un instant Olivier, s'écrie-t-il, et daigne mettre ta parole dans sa bouche.?
Le silence le plus profond succéda à cette étrange évocation, les yeux se fixèrent sur le cadavre; et chacun adoptant ou repoussant l'idée d'un miracle, attendait l'effet de ce moyen extraordinaire. Les accusés pales et interdits paraissaient perdre de leur fermeté. Baudouin seul restait calme et serein. Mais tout-à-coup, ? prodige! le visage pale et verdatre d'Olivier reprend quelque couleur, ses lèvres se raniment, ses yeux se rouvrent, son sang se réchauffe, et s'élance par jets sur les deux assassins, qui poussent des cris affreux, et tout couverts de ce sang accusateur, entrent dans des convulsions horribles auxquelles succèdent un froid engourdissement. Cependant le corps d'Olivier est entièrement ranimé; il se lève sur son séant, tourne les yeux sur l'assemblée, comme quelqu'un qui sort d'un profond sommeil, et qui cherche à rappeler ses idées. Ses yeux rencontrèrent ceux de Baudouin; et sa bouche sourit d'un air mélancolique; puis, tournant ses regards sur les deux criminels, il s'agite avec fureur, et un long gémissement s'échappe de sa poitrine déchirée. Il parle enfin, et d'une voix sonore, il annonce que Dieu lui permet de confondre les coupables; il dévoile leurs complots, il raconte comment ils l'ont assassiné, après avoir entrepris vainement de lui faire signer la fausse lettre. Il fait conna?tre tous les détails du crime, de quelle manière Baudouin en a été instruit, et comment, guidé par lui-même, il est parvenu à mettre au jour le forfait.
?Il est encore d'autres témoins, dit-il en étendant le bras vers les juges; voyez cette main déchirée, et les cheveux qu'elle renferme; ce sont ceux du barbare Lalonde. Lorsque ces deux tigres me tra?naient expirant, au pied de l'arbre, où ils se proposaient de cacher mon cadavre, la nature faisant en moi un dernier effort, se ranima un moment, je saisis d'une main les cheveux de Lalonde, et de l'autre, le bras de Piétreville, où mes doigts s'enfoncèrent tellement que le scélérat en porte encore la marque terrible; pour Lalonde, voyant qu'aucune puissance ne pouvait me faire lacher ses cheveux, il pria son ami de les lui couper avec des ciseaux qu'il portait sur lui. Baudouin, approche; c'est à toi que je remets ces témoins muets. Non contens de ce meurtre abominable, les laches se sont encore emparés de l'argent que je portais et de quatre médailles; ils en ont chacun deux sur eux en ce moment.?
?Voilà, juges et concitoyens, ce que j'avais à dire. La mort redemande sa proie; la nature ne peut souffrir plus long-temps que son ordre soit troublé. Mon corps va se rendre au néant et mon ame à sa destination.?
A mesure qu'Olivier pronon?ait ces derniers mots d'une voix faible et languissante, on
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 39
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.