Infernaliana | Page 7

Ch. Nodier
sépulchral; tout son aspect enfin inspirait la terreur; et le jeune avocat ne pouvait s'en défendre. Mais après s'être assuré, par une courte prière, que ce qu'il voyait n'était point l'ouvrage du démon, il se résolut à suivre le fant?me, et à faire tout ce qu'il lui dirait.
En conséquence, selon l'ordre d'Olivier, Baudouin se munit de quelque argent, courut louer une chaise de poste, et suivi de son domestique, il partit à l'heure même pour Caen. Le domestique courait à cheval derrière la chaise, et le fant?me avait pris place dedans, toujours invisible pour tout autre que Baudouin.
Pendant le voyage, Olivier s'entretenait avec son ami, dont il devinait les plus secrètes pensées; il répondait aux objections qu'il se faisait intérieurement sur cet étonnant prodige, il le rassurait, et l'invitait à le regarder comme un gardien fidèle et s?r. Enfin il parvint à bannir l'effroi que sa présence lui avait inspirée d'abord.
En arrivant à Caen, Baudouin fut re?u avec transport par sa famille, déjà fière de ses talens; comme il était un peu tard, on remit au lendemain les éclaircissemens et les questions; Baudouin se retira dans sa chambre; et Olivier l'engagea à se reposer, en lui disant qu'il allait profiter de son sommeil pour lui expliquer le complot dont il avait été victime. Baudouin s'endormit, et voici ce que l'ame d'Olivier lui fit entendre.
?Tu connus avant ton départ la belle Appolline de Lalonde, qui n'avait alors que quatorze ans. Le même trait nous blessa tous les deux; mais voyant à quel point j'étais épris d'Appolline, tu combattis ton amour, et gardant le silence sur tes sentimens, tu partis en préférant à tout, notre amitié. Les années s'écoulèrent, je fus aimé, et j'allais devenir l'heureux époux d'Appolline, lorsqu'hier, au moment où j'allais partir pour te ramener à Caen, je fus assassiné par Lalonde, l'indigne frère d'Appoline, et par l'infame Piétreville, qui prétendait à sa main. Les monstres m'invitèrent au moment de mon départ à une petite fête, qui devait se donner à Colombelle; ils me proposèrent ensuite de me reconduire à quelque distance. Nous part?mes, et je ne suis plus au nombre des vivans. C'est à la même heure où tu m'aper?us sur la route, que ces malheureux venaient de m'assassiner de la manière la plus atroce.
?Voici ce que tu dois faire pour me venger. Demain, rends-toi chez mes parens, et ensuite chez ceux d'Appoline; invite-les, ainsi que Piétreville à une fête, que tu donneras pour célébrer ton retour. Le lieu sera Colombelle, tu obtiendras leur consentement pour après-demain, et tu affecteras la plus grande ga?té. Je t'instruirai plus tard de tout le reste.?
L'ombre se tut. Baudouin dormit du sommeil le plus tranquille; et le lendemain il exécuta le plan tracé par Olivier. Tout le monde consentit à sa demande, et on se rendit à Colombelle. Les convives étaient au nombre de trente. Le repas fut splendide et gai; Piétreville et Lalonde paraissaient s'amuser beaucoup. Baudouin seul était dans l'anxiété, ne recevant aucun ordre de l'ombre, toujours présente à ses yeux.
Au dessert, Lalonde se leva, et réclama le silence pour lire une lettre cachetée qu'Olivier lui avait remise, disait-il, devant Piétreville, le jour de son départ, avec injonction de ne l'ouvrir que trois jours après et en présence de témoins. Voici ce qu'elle contenait:
?Au moment de partir, peut-être pour ne jamais revenir dans ma patrie, il faut, mon cher Lalonde, que je m'ouvre à toi sur la vraie cause de mon départ.
?Il m'eut été doux de te nommer mon frère, mais j'ai fait il y a peu de jours, la conquête d'une jeune personne, vers qui je me sens entra?né par un attrait invincible; c'est elle que je vais rejoindre à Paris, pour la suivre où l'amour nous conduira. Présentes mes excuses à ta soeur dont je me reconnais indigne. Sa vengeance est dans ses mains: j'ai entrevu que Piétreville l'aimait; il la mérite mieux que moi.
OLIVIER.?
Tout le monde resta muet et interdit à cette lecture. Baudouin vit Olivier s'agiter violemment. La lettre passa de main en main; chacun reconnut l'écriture et le seing d'Olivier. Baudouin voulut s'en assurer à son tour; mais la lettre lui fut arrachée des mains; elle se soutint quelques momens en l'air et prit la route du jardin... L'ombre fit signe à Baudouin de la suivre; il courut après, guidé par Olivier. Toute la compagnie les suivit, et l'on retrouva la lettre au pied d'un gros arbre, assez éloigné de l'endroit de la fête, à l'entrée d'un grand bois, et sur un tas de pierres amoncelées. Baudouin se saisit de la lettre en s'écriant: Que signifie ce mystère? essayons de le pénétrer, faisons dispara?tre ces pierres et voyons ce qu'elles peuvent couvrir? Lalonde et Piétreville éclatèrent de rire, et dirent à la compagnie de ne pas se déranger pour une feuille de papier poussée par le
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