ce dieu qui protège la
vertu, ne veut pas que le crime demeure impuni. Celui dont je suis la
victime crie vengeance. Mon sang qui fume encore est monté avec mon
âme jusqu'au trône de l'éternel. C'est lui qui a ratifié notre serment, et
c'est lui qui t'a choisi pour être mon vengeur. Partons.»
Baudouin resta quelques momens sans répondre; la pâleur du fantôme,
son immobilité pétrifiante, son oeil fixe et mort, sa poitrine criblée de
coups de poignard, son accent sépulchral; tout son aspect enfin inspirait
la terreur; et le jeune avocat ne pouvait s'en défendre. Mais après s'être
assuré, par une courte prière, que ce qu'il voyait n'était point l'ouvrage
du démon, il se résolut à suivre le fantôme, et à faire tout ce qu'il lui
dirait.
En conséquence, selon l'ordre d'Olivier, Baudouin se munit de quelque
argent, courut louer une chaise de poste, et suivi de son domestique, il
partit à l'heure même pour Caen. Le domestique courait à cheval
derrière la chaise, et le fantôme avait pris place dedans, toujours
invisible pour tout autre que Baudouin.
Pendant le voyage, Olivier s'entretenait avec son ami, dont il devinait
les plus secrètes pensées; il répondait aux objections qu'il se faisait
intérieurement sur cet étonnant prodige, il le rassurait, et l'invitait à le
regarder comme un gardien fidèle et sûr. Enfin il parvint à bannir
l'effroi que sa présence lui avait inspirée d'abord.
En arrivant à Caen, Baudouin fut reçu avec transport par sa famille,
déjà fière de ses talens; comme il était un peu tard, on remit au
lendemain les éclaircissemens et les questions; Baudouin se retira dans
sa chambre; et Olivier l'engagea à se reposer, en lui disant qu'il allait
profiter de son sommeil pour lui expliquer le complot dont il avait été
victime. Baudouin s'endormit, et voici ce que l'âme d'Olivier lui fit
entendre.
»Tu connus avant ton départ la belle Appolline de Lalonde, qui n'avait
alors que quatorze ans. Le même trait nous blessa tous les deux; mais
voyant à quel point j'étais épris d'Appolline, tu combattis ton amour, et
gardant le silence sur tes sentimens, tu partis en préférant à tout, notre
amitié. Les années s'écoulèrent, je fus aimé, et j'allais devenir l'heureux
époux d'Appolline, lorsqu'hier, au moment où j'allais partir pour te
ramener à Caen, je fus assassiné par Lalonde, l'indigne frère d'Appoline,
et par l'infâme Piétreville, qui prétendait à sa main. Les monstres
m'invitèrent au moment de mon départ à une petite fête, qui devait se
donner à Colombelle; ils me proposèrent ensuite de me reconduire à
quelque distance. Nous partîmes, et je ne suis plus au nombre des
vivans. C'est à la même heure où tu m'aperçus sur la route, que ces
malheureux venaient de m'assassiner de la manière la plus atroce.
»Voici ce que tu dois faire pour me venger. Demain, rends-toi chez mes
parens, et ensuite chez ceux d'Appoline; invite-les, ainsi que Piétreville
à une fête, que tu donneras pour célébrer ton retour. Le lieu sera
Colombelle, tu obtiendras leur consentement pour après-demain, et tu
affecteras la plus grande gaîté. Je t'instruirai plus tard de tout le reste.»
L'ombre se tut. Baudouin dormit du sommeil le plus tranquille; et le
lendemain il exécuta le plan tracé par Olivier. Tout le monde consentit
à sa demande, et on se rendit à Colombelle. Les convives étaient au
nombre de trente. Le repas fut splendide et gai; Piétreville et Lalonde
paraissaient s'amuser beaucoup. Baudouin seul était dans l'anxiété, ne
recevant aucun ordre de l'ombre, toujours présente à ses yeux.
Au dessert, Lalonde se leva, et réclama le silence pour lire une lettre
cachetée qu'Olivier lui avait remise, disait-il, devant Piétreville, le jour
de son départ, avec injonction de ne l'ouvrir que trois jours après et en
présence de témoins. Voici ce qu'elle contenait:
«Au moment de partir, peut-être pour ne jamais revenir dans ma patrie,
il faut, mon cher Lalonde, que je m'ouvre à toi sur la vraie cause de
mon départ.
»Il m'eut été doux de te nommer mon frère, mais j'ai fait il y a peu de
jours, la conquête d'une jeune personne, vers qui je me sens entraîné
par un attrait invincible; c'est elle que je vais rejoindre à Paris, pour la
suivre où l'amour nous conduira. Présentes mes excuses à ta soeur dont
je me reconnais indigne. Sa vengeance est dans ses mains: j'ai entrevu
que Piétreville l'aimait; il la mérite mieux que moi.
OLIVIER.»
Tout le monde resta muet et interdit à cette lecture. Baudouin vit
Olivier s'agiter violemment. La lettre passa de main en main; chacun
reconnut l'écriture et le seing d'Olivier. Baudouin voulut s'en assurer à
son tour; mais la lettre lui fut arrachée des mains; elle se soutint
quelques momens en l'air et prit la route du jardin... L'ombre fit signe à
Baudouin de la suivre;

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