Ida et Carmelita | Page 4

Hector Malot
C'est le prince lui-même qui
me l'a dit.
Et Horace expliqua comment il avait par hasard rencontré la calèche
qui amenait le prince à l'hôtel du Rigi, et comment le prince lui avait
expliqué qu'il venait en Suisse pour la santé de la comtesse. Il fallait à
celle-ci une habitation à une altitude élevée: c'était disaient les
médecins, une question de vie ou de mort.
--Je croyais qu'il n'y avait pas de chambres disponibles en ce moment à
notre hôtel, interrompit le colonel.
--Justement il n'y en a pas.
--Eh bien! alors?
Horace entreprit le récit de ce qui s'était passé, comment le sommelier
avait été amené par hasard, par force pour ainsi dire, à parler de la
chambre que le colonel transformait en salle à manger, et comment le
prince attendait l'arrivée du colonel pour lui demander cette chambre.
A ce mot, le colonel frappa fortement la terre de son alpenstock.
--C'est bien, dit-il, je ne rentre pas; le prince se décidera sans doute à
chercher plus loin; tu diras que tu ne m'as pas rencontré. Je ne
reviendrai que dans quelques jours.
--Ah! mon colonel.
Et Horace qui voyait s'évanouir ainsi le plan qu'il avait formé, essaya

de représenter à son maître combien cette explication serait peu
vraisemblable.
Pendant quelques secondes le colonel resta hésitant; puis, tout à coup,
comme s'il avait pris son parti:
--C'est bien, dit-il, rentrons à l'hôtel.
--Puis-je prendre les devants pour annoncer votre arrivée?
--Non; je désire m'expliquer moi-même avec le prince.
En arrivant à l'hôtel, il aperçut le prince installé avec sa soeur et sa
nièce dans le jardin où ils prenaient des glaces; vivement le prince se
leva pour accourir au devant de lui: jamais accueil ne fut plus
chaleureux.
Après le départ d'Horace, le prince avait fait monter son bagage dans le
cabinet qui lui était donné sous les toits, mais il avait voulu que les
malles de sa soeur et de sa nièce restassent dans le vestibule de l'hôtel.
Avant de s'installer dans la salle à manger du colonel, il fallait attendre
le retour de celui-ci.
Il était convenable de lui demander cette chambre.
Seulement, en même temps, il était bon de le mettre dans l'impossibilité
de la refuser.
Où coucheraient la comtesse et Carmelita?
Devant une pareille question, la réponse ne pouvait pas être douteuse.
C'était donc en costume de voyage que la comtesse et Carmelita avaient
dîné à table d'hôte, où leur présence avait fait sensation.
Pour Carmelita, elle se contenta de tendre la main au colonel et de
poser sur lui ses grands yeux, qui s'étaient éclairés d'une flamme rapide.

Mais ce n'était pas seulement pour avoir le plaisir de serrer la main de
ce cher colonel que le prince Mazzazoli attendait son retour avec
impatience.
Il avait une demande à lui adresser, une prière, la plus importune, la
plus inconvenante, mais qui lui était imposée par la nécessité.
--Je sais par Horace de quoi il s'agit, interrompit le colonel, et je suis
heureux de mettre deux de mes chambres à la disposition de ces dames.
Je regrette seulement que vous n'en ayez pas déjà pris possession en
m'attendant, car vous deviez bien penser que je m'empresserais de vous
les offrir.
Comme le prince se confondait en excuses en même temps qu'en
remercîments, le colonel l'interrompit de nouveau.
--Je vous assure que vous ne me devez pas tant de reconnaissance. Au
reste le sacrifice que je vous fais est bien petit, et je regrette même que
les circonstances le rende si insignifiant.
--Il n'en est pas moins vrai que, pour nous, vous vous privez de vos
chambres, dit Carmelita.
--Pour une nuit....
--Comment! pour une nuit? s'écria le prince.
--Je pars demain soir.
Carmelita attacha sur le colonel un long regards qui fit baisser les yeux
à celui-ci.
Pour échapper à l'embarras que ce regard de Carmelita lui causait, il se
jeta dans des explications sur son départ, arrêté depuis longtemps, dit-il,
et qui ne pouvait être différé.
Puis presqu'aussitôt, prétextant la fatigue, le prince demanda au colonel
la permission de conduire la comtesse à sa chambre.

Dans son état, elle avait besoin des plus grands ménagements.
Et tout bas il dit au colonel que la pauvre femme était bien mal et qu'un
accès de fatigue pouvait la tuer.

II
Ce que le colonel eût voulu savoir et ce qu'il se demandait
curieusement, c'était pourquoi le prince était venu au Glion.
Il n'avait point oublié, bien entendu, ce que madame de Lucillière lui
avait si souvent répété à propos des projets du prince et de ses
espérances matrimoniales.
Il se pouvait donc très bien que ce voyage au Glion n'eût pas d'autre but
que l'accomplissement de ces projets et la réalisation de ces espérances.
Sachant ce qui s'était passé avec madame de Lucillière, le prince avait
trouvé que
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