Ida et Carmelita | Page 3

Hector Malot
question de la comtesse, Horace se trouva assez embarrassé; car
sans savoir si son maître serait ou ne serait pas bien aise de voir des
personnes de connaissance, il n'avait pas oublié la consigne qui lui avait
été donnée.
Comme il hésitait, ce fut mademoiselle Belmonte qui l'interrogea.
--Comment se porte le colonel? dit-elle.
Il était ainsi fait, qu'il ne savait ni résister, ni rien refuser à une femme.
--Hélas! pas trop bien, répondit-il.
--Et où donc êtes-vous présentement? demanda le prince.
Horace en avait trop dit pour refuser maintenant de répondre.
Il dit donc que son maître et lui étaient à l'hôtel du Rigi-Vaudois.
--A l'hôtel du Rigi-Vaudois, vraiment? Quelle bizarre coïncidence!
c'était là justement qu'ils allaient.
--Le cocher nous disait qu'il n'y avait pas de chambres vacantes en ce

moment, continua la comtesse. Est-ce que cela est vrai? le savez-vous?
Hélas! oui, il le savait et il fut bien obligé d'en convenir.
A l'hôtel, le Kellner répéta au prince Mazzazoli ce qu'Horace avait déjà
dit:
--Il n'y avait pas d'appartement disponible en ce moment. Si Son
Excellence avait pris la peine d'envoyer une dépêche, quelques jours à
l'avance, on aurait été heureux de se conformer à ses ordres; mais on ne
pouvait pas déposséder les personnes arrivées depuis longtemps, pour
donner leurs appartements à des nouveaux venus, si respectables que
fussent ceux-ci.
Horace voulut intervenir, mais ce fut inutilement.
--La seule chambre libre en ce moment est celle qui sert de salle à
manger à votre maître, et encore n'est-ce pas ce qu'on peut appeler une
chambre libre; elle ne le deviendrait que s'il voulait bien la céder.
A ce mot, le prince, qui avait tout d'abord montré un vif
mécontentement, se radoucit, et, se tournant vers Horace:
--Est-ce que le colonel tient beaucoup à cette chambre? demanda-t-il;
en a-t-il un réel besoin? Si je me permets cette insistance, c'est que nous
nous trouvons placés dans des conditions toutes particulières. Le séjour
de Paris, dans un air mou et vicié, a été contraire à la santé de madame
la comtesse Belmonte; on lui a ordonné, comme une question de vie ou
de mort, l'habitation, pendant quelque temps, dans une haute station
atmosphérique, et c'est là ce qui nous a fait choisir le Glion, où, nous
assure-t-on, son anémie et sa maladie nerveuse disparaîtront comme par
enchantement, par miracle, dans cet air raréfié.
--Nous avons bien en haut, tout en haut, sous les toits, deux chambres
ou plus justement deux cabinets, mais qui ne sont pas habitables pour
des dames; si Son Excellence tient essentiellement à loger au Rigi, il
n'y aurait qu'un moyen, ce serait que M. le colonel cédât la chambre lui
servant de salle à manger, en même temps ce serait que M. Horace

Cooper voulût bien abandonner aussi sa chambre et se contenter d'un
cabinet sous les toits. Alors les deux dames auraient un appartement
convenable. Il est vrai que Son Excellence et M. Horace Cooper
seraient horriblement mal logés. Mais comment faire autrement en
attendant le départ de quelques pensionnaires, départ prochain d'ailleurs,
et qui ne dépasserait pas deux ou trois jours?
--Il faudrait voir le colonel, dit le prince, car, malgré l'ennui que tout
cela pourra lui causer, je suis certain qu'il ne nous refusera pas ce
service dans les conditions critiques où nous nous trouvons.
Horace accueillit avec empressement cette idée qui le tirait d'embarras.
Car, malgré son envie de retenir mademoiselle Belmonte, et de la voir
se fixer au Glion, il n'osait prendre sur lui d'accepter l'arrangement
proposé par le prince Mazzazoli; il y aurait eu là, en effet, un acte
d'autorité un peu violent.
Et tandis que le prince Mazzazoli faisait venir ses bagages de Montreux,
en homme qui ne doute pas de l'acceptation de ses combinaisons,
Horace quittait l'hôtel pour aller se poster sur le chemin par lequel il
supposait que le colonel devait revenir de sa promenade.
Les heures s'écoulèrent sans que le colonel parût.
Déjà les ombres qui avaient envahi les vallées les plus basses
commençaient à monter le long des montagnes et l'air se rafraîchissait.
Comme Horace se demandait s'il ne devait pas rentrer à l'hôtel, il
aperçut son maître qui descendait le sentier au bout duquel il l'attendait.
Le colonel marchait lentement, le bâton ferré sur l'épaule, la tête
inclinée en avant, comme un homme préoccupé qui suit sa pensée et ne
se laisse pas distraire par les agréments du chemin qu'il parcourt.
Il vint ainsi sans lever la tête, jusqu'à quelques pas d'Horace.
Mais l'ombre que celui-ci projetait sur le chemin l'arrêta et le fit lever

les yeux.
--Toi? dit-il.
--C'est M. le prince Mazzazoli qui est arrivé à l'hôtel, ainsi que madame
la comtesse Belmonte et mademoiselle Carmelita.
--Et qui leur a dit que j'habitais cet hôtel du Rigi.
--Ils ne savaient pas trouver mon colonel.
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