j'avais ��t�� Trapoiseau, premier clerc de ma?tre Bouchardy. Du coup je venais de passer ?F��lix?. Sentez-vous la diff��rence?
III
MA M��RE
Je perdis bien encore quelques minutes �� bercer dans mes r��veries cette douce pens��e que deux jeunes demoiselles,--les plus belles �� mon avis, et les plus riches de la puissante cit�� de Creux-de-Pile,--m'avaient mis souvent en tiers dans leurs conversations, et que l'une d'elles parlait dans l'intimit�� de ?F��lix?, tandis que l'autre r��pondait en parlant de ?Michel?.
H��! h��! n'a pas ce bonheur-l�� qui veut!
Enfin, il fallut prendre la plume et commencer gravement:
?Par devant ma?tre Bouchardy et son coll��gue...?
Apr��s quoi j'allai tout d'un trait et sans d��brider jusqu'�� la fin, tant j'��tais rempli, p��n��tr��, satur�� des clauses du contrat.
Quand tout fut pr��t, je rentrai chez moi pour souper et prendre un habit noir et une cravate blanche.
Chez moi, je veux dire chez ma m��re, et quoiqu'on se doute bien que la veuve de l'huissier Trapoiseau n'��tait pas une grande dame et n'habitait pas un palais, on imaginera difficilement la v��rit��.
Ma m��re occupait au second ��tage et de plain-pied avec la rue, la maison ��tant adoss��e au rocher (notez cette co?ncidence), une grande chambre et un petit cabinet qui dominaient tous les deux la rivi��re de plus de cent pieds de haut. Le pav�� de la chambre ��tait fait de terre battue, comme celui des granges. Le cabinet, plus heureux, avait un plancher de bois. Mais la chambre servait �� tout.
D'abord, ma m��re y couchait. Ensuite elle y faisait sa cuisine (maigre, tr��s maigre cuisine!) compos��e le matin d'une soupe �� l'oignon, �� midi d'un rago?t de mouton et de pommes de terre qui durait trois jours. Le quatri��me jour, on le rempla?ait par une omelette m��l��e de pommes de terre. A dire vrai, les pommes de terre ��taient le l��gume favori de ma m��re et sa nourriture principale; aussi les fourrait-elle au hasard dans toutes les sauces, et telle est la douce influence d'un bon app��tit que j'avalais avec plus de plaisir une omelette aux pommes de terre qu'un banquier n'avale une dinde aux truffes.
Le souper, r��guli��rement servi �� sept heures du soir, se composait, en hiver: le lundi, d'une soupe aux choux; le mardi d'une soupe aux raves; le mercredi, d'une soupe aux choux; le jeudi, d'une soupe aux raves; le vendredi d'une soupe aux choux; le samedi d'une soupe aux raves; et le dimanche,--jour de f��te, de luxe, de magnificence et de prodigalit��, d'une soupe aux choux m��l��s de raves et de pommes de terre.
Pour faire couler le tout, une eau d��licieuse puis��e �� la fontaine voisine, au pied du rocher sur lequel la maison ��tait batie. Quant au vin, il ��tait n�� dans le pays, c'est-��-dire plus apre et plus difficile �� dig��rer qu'une condamnation �� trois mois de prison et 6.000 francs d'amende. Au reste, ma m��re n'en a jamais go?t��; pour moi, j'en buvais avec une extr��me mod��ration. Un litre tous les dix jours que ma m��re allait chercher dans la boutique du cabaretier d'en face. Cinq sous en gros et six sous au d��tail.
Vous me croirez si vous voulez, ce r��gime, aid�� du grand air et de beaucoup d'exercice, vaut mieux que celui des Parisiens. Mon grand-p��re Trapoiseau qui n'a jamais go?t�� ni vin ni viande a v��cu quatre-vingt-quinze ans.
Vous voyez maintenant le logis de ma m��re et le mien. Quant �� ma m��re elle-m��me, figurez-vous une coiffe de paysanne, une figure taill��e �� coups de serpe dans un ch��ne, des bras solides, des poignets noueux et un air dur et gai tout ensemble,--dur pour elle-m��me et quelquefois pour le prochain, mais toujours gai pour moi,--c'est elle.
La maison que nous habitions ��tait �� nous; mais par quart seulement. Ma m��re avait achet�� le second ��tage et le grenier. Le propri��taire du premier,--un aristocrate celui-l��, ��tait un tisserand. Celui du rez-de-chauss��e ��tait un mar��chal-ferrant. Les chevaux descendaient chez lui par un sentier ��troit garni d'un parapet ou garde-fou de deux pieds de haut qui les avertissait de ne pas caracoler au hasard, de peur de tomber dans la rivi��re...
Le grenier avait ��t�� c��d�� de bonne grace �� un propri��taire qui serrait l�� son foin et son avoine. Je veux dire qu'on les serrait pour lui; car ce pauvre Aristide ��tait si b��te, au dire de ma m��re, qu'il n'avait jamais su rien faire de ses dix doigts.
En deux mots, c'��tait un ane, un ane �� quatre pattes, l'ane de ma m��re et apr��s moi ce qu'elle avait de plus pr��cieux au monde. Aristide ��tait son gagne-pain, son compagnon de voyage; il aurait ��t�� le confident de ses peines si elle avait eu des peines: mais elle avait trop de courage et de bon sens pour s'inqui��ter ou s'affliger de rien.
C'est Aristide qui tra?nait la voiture; car ma m��re avait une voiture, comme une duchesse, et la conduisait elle-m��me
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