mot, n'est-ce pas?
--Le dernier des derniers, cher confrère.
--Eh bien, que votre volonté soit faite et non la mienne. Je consens à la ruine de mon client.
Saumonet se récria:
--J'y consens, reprit M. Bouchardy, mais c'est par son ordre. Michel qui a tout prévu, car c'est un homme de bon sens dans tout le reste, et qui, par respect pour la mémoire de son père ne veut pas plaider contre sa mère, m'a chargé d'acheter son consentement. Il lui en co?tera 6.000 francs de rente, jusqu'à la mort de la brave dame, mais, à ce prix, je m'en suis assuré, toutes les difficultés seront levées, elle ne figurera au contrat que pour approuver et signer, et elle serrera mademoiselle Hyacinthe sur son coeur comme une fille bien-aimée!...
--J'en suis touché jusqu'aux larmes, dit M. Saumonet.
--Mais vous, ne ferez-vous aucune concession?
--Pas la moindre! Madame Forestier qui est une femme poétique, un sylphe, un gros sylphe à la vérité, un sylphe de quatre-vingt-dix kilogrammes, a déclaré que les jeunes filles devaient se marier sans dot ou ne jamais se marier; que demander une dot à mademoiselle Hyacinthe, c'était lui faire une offense impardonnable; que si M. Forestier son mari, voulait doter sa fille, il le pouvait, mais à ses frais, et qu'elle ne donnerait pas un centime: qu'il était libre de se ruiner, lui, mais à ses risques et périls (Mange ?a tien, tu ne mangeras pas ?a mien), comme disent toutes les saintes femmes du pays: qu'elle n'était pas folle, elle, et qu'elle avait de la prévoyance pour toute la famille; qu'elle avait résolu de garder toujours sa fortune intacte et de la réserver pour ses enfants ou mieux encore pour ses petits-enfants, et surtout pour ses arrière-petits-enfants (qu'elle adore par avance, les pauvres chérubins); que c'était pour elle un devoir de conscience et ne transigerait jamais... J'ai voulu hasarder quelques observations; mais la grosse dame plus poétique et plus tragique que vous ne l'avez jamais vue, s'est écriée:
?Ma fille, ma chère fille, ma douce et tendre Hyacinthe, cette gracieuse hirondelle que j'ai réchauffée dans mon sein, sait bien qu'elle peut compter sur moi!... Quelles que soient les déceptions de la vie, quelque chagrin que dans l'avenir puisse lui donner son futur mari, (et il lui en donnera des multitudes, j'en vois déjà trop les signes précurseurs!) mon coeur de mère et mes bras lui seront toujours ouverts.
?Je mettrai tout en commun avec ma fille!... Mais pour son mari, non! Il n'aura pas un centime de moi! Pas un centime!?
Vrai, mon ami, c'était si touchant que j'avais peine à retenir mes larmes.
--Comme ?a, répliqua l'autre notaire, elle garde tout?
--Parfaitement. Et madame Bernard?
--Presque tout, répondit Saumonet.
--Deux vrais coeurs de belles-mères, conclut M. Bouchardy qui était philosophe.
Puis se tournant vers moi:
--Tu as bien entendu, Trapoiseau?... A toi d'arranger de ton mieux les termes du contrat. Tu nous rejoindras à huit heures, chez M. Forestier... Nous, Saumonet, allons d?ner, et dépêchons-nous, car il est cinq heures cinq... La forte Mihiète doit grogner sur ses fourneaux.
Et tous deux s'en allèrent bras dessus, bras dessous, en chantant le joyeux refrain:
Gloria tibi, Domine, Que tout chantre Boive à plein ventre
II
ANGéLINE
Enfin la porte du jardin se referma sur les deux notaires,--Bouchardy, surnommé le Gros, à cause de son épaisseur, et Saumonet, surnommé l'Aiguille, à cause de sa longueur et de sa maigreur extraordinaires.
Alors, resté seul en face de Dieu, de la Nature et du papier timbré que je devais noircir d'encre, je pris mon menton de la main gauche, j'appuyai le coude du même c?té sur la table et mon esprit vagabond s'enfon?a lentement dans mes pensées, comme un promeneur qui marche au travers de la forêt.
Ce n'est pas une petite affaire de rédiger un contrat de mariage! Ah! non, certes! et, comme dit la poétique Mme Forestier, quand elle ordonne à sa cuisinière de peler douze pommes de terre, je dirigerais plus aisément les quarante principales maisons de commerce de Paris; mais enfin il faut rédiger et je rédigerai; il le faut! il le faut! Michel m'en a prié, Mlle Hyacinthe compte sur moi (Elle a de bien beaux yeux, Mlle Hyacinthe) quelquefois en traversant la rue elle me regarde d'un air aimable, caressant et presque malin, comme si elle devinait de moi quelque chose que je ne veux pas dire, et comme si elle s'intéressait à moi, à cause d'une autre personne pour qui elle aurait une amitié particulière... Je croirais volontiers que cette personne qui n'a pas de barbe au menton (et n'en aura jamais) lui parle de moi de temps en temps et qu'il y a des confidences échangées... Ah! si j'en étais s?r, mais, c'est un rêve... Jamais Angéline n'a pensé à moi, excepté pour descendre dans l'étude, quand ma?tre Bouchardy, son père, va faire au cercle sa partie de billard; et alors, elle me dit:
?Monsieur
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