Humoresques | Page 3

Tristan Klingsor

Mais que le clocher fin de la Landelle
Se voie de partout,
Et tes
cornes aussi, Jean Gossart, que m'importe,
Puisque l'infidèle
M'a
fermé pour ce soir sa porte
Et que je n'ai plus de dame d'atout.
LA PLUME D'AUTRUCHE
Ah! jolis masques de Paris
Mon coeur trébuche
Toujours trop tôt;

La vieille dame avec une plume d'autruche
A son chapeau
Sourit.
Jusques à quand te croiras-tu donc damoiseau,
Pauvre homme au poil
déjà tout gris;
Faux départ:
L'amour une fois encore est venu trop
tôt
Ou trop tard.
BONNARD
Le camembert bleu, l'orange et la banane
Dorment dans le vieux
Rouen;
Finies! compotes au sucre
Et tarte à la crème;
La tulipe
jaune se fane
En son verre de Bohême;
Madame pianote et montre
en jouant
La plus jolie nuque.
Digérons: cette heure est vraiment
Exquise;
Un peu de rêve sous la

lampe flotte
Et je me grise
De l'odeur de cette nuque en fleur;

Madame joue un air ancien,
Un air tendre et cajoleur
De gavotte;

Monsieur descend faire pisser le chien.
Chère âme, voici l'instant propice,
Puisque la bonne est sortie elle
aussi:
Aimiez-vous de la sorte, ô Juliette ou Lucie
Ou douce
Bérénice?
Car notre amour enfin ne connaît plus de bornes,
Et que
le diable perde ses cornes
Si ma main partout ne se glisse ...
Mais la clé grince:
La tulipe d'effroi
Meurt et s'effeuille;
Prudent
et sans plus attendre
Je m'enfonce dans le fauteuil
Et madame de
ses beaux doigts minces
Reprend innocemment ce motif d'autrefois,

Cette gavotte adorable et tendre,--
De Philidor, je crois.
LA BRETELLE CASSÉE
Messieurs, arrêtez-vous de grâce!
Que le diable m'emporte,
Ma
bretelle casse,
Et je perds, je crois bien, ma culotte.
Si vous riez encore, Aminte,
Je ne serai pas dupe;
Je le dis à maints
et maintes,
Et pendu sois-je si je mens:
L'astre le plus charmant

Que j'aie vu, je le vis sous vos jupes ...
Mais fi! de l'indiscret
Et trêve à ces réalités
Qu'en dévot j'adorais;

La lune se lève:
Mes belles dames, permettez
Que j'accroche à sa
corne dans ce soir d'été
Tout mon rêve.
MATINES
Il a plu. Que l'odeur de la fleur de sureau
Est délicieuse ce matin!

Le soleil dans la brume demeure incertain
Et les corolles sont encore
pleines d'eau.
Où irons-nous?
Le vent est d'est: n'entends-tu pas sonner les cloches?

Le rideau de nuages se dénoue
Et le brouillard dans la vallée
s'effiloche.

A Saint-Aubin, à Ons-en-Bray,
A Espaubourg aussi, partout voici
matines:
Quel amoureux regret,
Chère hypocrite, te retient donc
sous la courtine?
MADEMOISELLE ROSE
Une petite prise, mademoiselle Rose,
Une petite prise de vieux tabac
fin:
A notre âge, eh! eh! c'est chose
Plus chère qu'un sachet de
parfum.
Ça pique et c'est délicieux
Mademoiselle Rose, vous savez bien;
Ça
pique et ça met une larme aux yeux,
Pour rien en somme, pour rien ...
Autrefois c'était une fraîche rose
Que je vous offrais, et cela aussi,

Cela aussi, mademoiselle Rose,
Mettait une larme claire entre vos
cils.
Mais maintenant vous avez bonnet et jupe
A la mode ancienne:

Hélas! nous sommes restés tous deux dupes
De nos mutuelles
antiennes.
Et maintenant quand on cause,
Et maintenant que voulez-vous qu'on
dise?
Une petite prise, allons, mademoiselle Rose,
Une petite
prise ...
LE GARÇON MEUNIER
La lune est encore sur le clocher;
La route est grise dans l'air dense;

Le meunier balaie le plancher;
La pelote roule et le chat danse.
Je regarde en chemise à travers la vitre
Le paysage obscurci;
Ah!
qui donc siffle ainsi une chanson au loin?
Il me semble que le moulin

Bat plus vite
Et mon coeur aussi.
Une fenêtre s'est ouverte à petit bruit:
Belle meunière, est-ce la vôtre?

La lune en rit,
La lune haute
Dans le vieux ciel couleur de taupe


Et de souris.
Votre bonhomme de mari trotte au grenier
Et le gendarme dort
comme un loir dans son lit;
Le rat grignote, le chat joue
Et seul en
chemise et rêvant de vous,
Je m'enrhume, ô très jolie:
Mais où est le
garçon meunier?
SOUS LA CENDRE
La pluie peut tomber plus fort
Du ciel monotone;
Les larmes
peuvent descendre
Le long des joues
Et cet amour peut être mort;

L'eau dans le pot chantonne
Et bout toujours
Sous la cendre.
Et moi aussi malgré
La rose à jamais morte dans l'automne d'or
Et
que de plus en plus ce poil gris pousse,
Je chante encore,
Et comme
un baladin qui fait danser un ours
Sur le pré,
Je traîne en souriant
un coeur désespéré.
LA CHAMADE
Que le bassoniste
Sur l'ut grave de la sérénade
Insiste,
Et voici le
coeur qui bat la chamade.
Ah! quel trictrac sentimental et tendre
Se cache sous ce sein fleuri;

Jamais Clitandre ni Cassandre.
N'en sauront le prix.
Mais moi, très chère
Chaque soir j'essaie d'accorder mon âme
A
votre subtil sourire,
Et très dévotement je vous révère,
A l'égal de la
dame
De Tyr.
LE CHEF D'ORCHESTRE
Le chef d'orchestre à perruque blanche
Et menton mal rasé bleuté de
barbe grise
A troussé la dentelle de sa manche
Pour humer une
dernière prise.

Il a cogné sur le pupitre à musique
Son minuscule bâton d'ivoire;
La
contrebasse a rajusté ses bésicles
Et les danseurs les roses de leurs
habits noirs.
Voici que les archets réveillés vont et viennent
Pour jouer de vieux
airs oubliés,
Et les violons avec leurs danses anciennes
Font courir
les petits souliers.
Les cavaliers se penchent un peu
Sur les épaules émergeant des
velours
Et murmurent de tendres aveux
Et des propos spécieux
d'amour.
Les tailles souples se ploient,
Les mains se
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