Humoresques | Page 2

Tristan Klingsor
que vous voudrez.
LA PIE AU NID
Qui trouve à son retour le buffet dégarni,
La soupe à moitié froide et
le chat sur la table
Envoie sa digne épouse au diable
Et laisse pie au
nid.
Qui trouve en son logis visage renfrogné
Va courtiser servante et pot
à bière;
Oyez, belles trop fières,
Oyez ce qui vous pend au nez.
Mais toi, chère Marion, tu es toute ambroisie,
Et miel et friandise de
haut prix
Et femme assurément à point choisie
Pour ton mauvais
mari.
AU LUXEMBOURG
Passe qui voudra par la rue Saint-Jacques,
Je préfère le Luxembourg

Avec ses marbres, ses marronniers lourds
Et ses balustrades de
pierre autour
Du lac.
Le soleil d'août brille:
N'est-elle pas trop roide en somme
Cette rue?

Regardons plutôt l'herbe drue,
La rose, la jonquille
Et le
géranium.
Une jolie fille sourit
Et surpris
J'ai un peu d'émoi;
Le fin jet d'eau
verse une larme;
Une jolie fille sourit
Et le fantassin porte l'arme,


Mais ce n'est pas pour moi.
Passe qui voudra par la rue Saint-Jacques,
Plus je n'y voudrai passer:

Mon coeur y fut trop blessé
Et durement mis à sac;
Passe qui
voudra par la rue Saint-Jacques.
LA GAVOTTE
Chevalier Gluck, chevalier Gluck,
Lorsque j'écoute
Vos airs trop
tendres
Et charmants,
Mon vieux coeur tremble
Comme un
instrument
Sous l'archet de soie,
Chevalier Gluck,
Et je me crois

Au temps des paniers, des culottes courtes
Et des perruques.
Le bourgeois obèse
Du dessus dort
Dans sa chambre Louis Seize;

Beaux doigts de ma voisine,
Rejouez encor,
Rejouez pour moi

Cette gavotte exquise
D'_Armide_;
Et pardonnez très chère au fol
émoi
D'un coeur si timide:
Car ce soir j'imagine
Que vous voici marquise

Et m'accordant enfin votre joli corps:
Le bourgeois obèse du dessus
dort.
LE LOUP-GAROU
Vieux rat, tu peux t'aventurer dans la gouttière;
Sur le beau soir bleu

Monte une fumée légère de bruyère
Et le chat joue
Dans la
maison avec sa queue.
Vieux coeur tu peux t'aventurer chez la bergère;
C'est l'heure du
loup-garou,
Et le mari dort au coin de son feu;
La lune rit sans bruit
dans le beau soir bleu;
Eh! soyons vite audacieux,
Vieux coeur:
c'est l'heure du loup-garou
Et des amoureux.
NOCTURNE PROVINCIAL
Les bougies sont soufflées
Et sur les toits la lune brille;
La dame du

notaire est endormie
Et seuls, quatre officiers d'académie
Font leur
manille
Au petit café.
Il serait vraiment sage
De rentrer, je crois:
Je sens que j'ai le nez

Tout gelé de froid;
Un passant attardé se soulage
Au coin de la rue
abandonnée.
Hein! est-ce que je m'enrhume?
J'ai le poumon trop délicat
Pour
cette brume:
Ah! chère qui restez tranquillement
Derrière vos
persiennes,
Ne ferez-vous donc jamais cas
De la tendre antienne
Si pleine de poésie
De votre pauvre amant

Transi?
PENDANT LA PLUIE
Il pleut:
L'épinard verdoie
Et l'eau ravive la couleur de toute chose;

La brique de l'auberge est plus rose
Et la mousse est plus bleue

Sur le toit.
Et toi, tu bois,
Cher bourgeois
Strasbourgeois
Qu'on voit au
travers de la vitre close,
Tu bois en riant un vieux vin de choix
Et
ton nez rougeoie.
LE MENUET
Le menuet délicieux de Mozart,
Mélancolique et charmant,

Divulgue note à note son humeur bizarre
D'un qui sourit à peine ou
pleure sans raison,
Et qui suit son chemin par la neuve saison
En
effeuillant son coeur adorablement.
On dirait qu'en un parc inventé de Watteau
Les ingénus et les belles
Florises
Se confient tendrement d'inutiles propos,
Et que l'écho
plaintif des rires musicaux
Se mêle à la mélodieuse surprise
Des
jets d'eau.

Mélancolique et charmant et fantasque un peu
Le menuet délicieux et
rebelle,
Le menuet de Mozart s'égrène encor;
Il pleut des roses, il
pleut
Sous les doigts savants de mademoiselle:
Monsieur Durand de
deux oreilles complaisantes
Écoute le jeu de sa fille Laure
Et bat la
mesure sur son ventre.
Et cependant que la dernière réplique
D'un rythme plus vif se marque,

Madame ravie vers le Prétendant
Rose et frais dans son faux-col
blanc
Et sa redingote en fleur,
Glisse un oeil oblique,
Et le
menuet cette fois se brise
Comme un jet d'eau sous la brise
Au fond
d'un parc.
LA BELLE D'ARGENTEUIL
A la belle maraîchère d'Argenteuil
Au corsage ouvert sur les roses
des seins
Que disais-tu, bon poète amoureux?
Le chemin creux

Était plein de feuilles
Et ton coeur des pires desseins.
Mieux eut valu du reste audacieux indiscret
Qu'oiseux discours:
La
chemise s'échancrait
En molle fente;
Le jupon était court
Et la
fille riait de sa gorge charmante.
Mais la peur de quelque bleu gendarme,
O rimeur, te retenait sans
doute,
Car tu es revenu sur la route
Sans la belle maraîchère
d'Argenteuil
Et même je crois une pointe de larme
A l'oeil.
LE MERLE
Le merle était dans le pommier
Tout à l'heure,
Le merle beau
siffleur,
Mais vous dormiez.
Le vent frais du matin secouait
Les feuilles et les roses
Et pour
écouter le délicat virtuose
Tout se tenait coi.
Pourtant un bouffon manquant à la poésie
De cet amoureux alléluia,


Vieux galant cramoisi,
Un coq à son tour s'égosilla.
Mais vous dormiez, très chère, et n'aviez nul souci
De cette pluie

De notes, non plus d'ailleurs que de celui
Qui est à votre merci.
JEAN GOSSART
Que Jean Gossart boive un bon coup
De cidre frais ou de vin chaud,

Que Jean Gossart boive un bon coup
Et que Margot vide la bourse
du grigou,
Peu me chaut.
Je ne regarde que la route qui poudroie
Par la fenêtre de l'auberge;

Je n'écoute que cet oiseau dans le bois:
Jean Gossart, n'as-tu pas le roi?

Ton nez s'allonge comme asperge.
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