Horace | Page 6

George Sand
une pensée d'avenir?
--Je n'en doute pas, lui répondis-je; le tout est de savoir si l'on aura plus ou moins d'obstacles à renverser, et cela est le secret de la Providence.
--Non, mon cher! s'écria-t-il en passant familièrement son bras sous le mien; le tout est de savoir si l'on aura une volonté plus forte que tous les obstacles; et cela, ajouta-t-il en frappant avec force sur son thorax sonore, je l'ai!
Nous étions arrivés, tout en causant, en face de la Chambre des pairs. Horace semblait prêt à grandir comme un géant dans un conte fantastique. Je le regardai, et remarquai que, malgré sa barbe précoce, la rondeur des contours de son visage accusait encore l'adolescence. Son enthousiasme d'ambition rendait le contraste encore plus sensible.--Quel age avez-vous donc? lui demandai-je.
--Devinez! me dit-il avec un sourire.
--Au premier abord on vous donnerait vingt-cinq ans, lui répondis-je. Mais vous n'en avez peut-être pas vingt.
--Effectivement, je ne les ai pas encore. Et que voulez-vous conclure?
--Que votre volonté n'est agée que de deux ou trois ans, et que par conséquent elle est bien jeune et bien fragile encore.
--Vous vous trompez, s'écria Horace. Ma volonté est née avec moi, elle a le même age que moi.
--Cela est vrai dans le sens d'aptitude et d'innéité; mais enfin je présume que cette volonté ne s'est pas encore exercée beaucoup dans la carrière politique! Il ne peut pas y avoir longtemps que vous songez sérieusement à être député; car il n'y a pas longtemps que vous savez ce que c'est qu'un député?
--Soyez certain que je l'ai su d'aussi bonne heure qu'il est possible à un enfant. A peine comprenais-je le sens des mots, qu'il y avait dans celui-là pour moi quelque chose de magique. Il y a là une destinée, voyez-vous; la mienne est d'être un homme parlementaire. Oui, oui, je parlerai et je ferai parler de moi!
--Soit! lui répondis-je, vous avez l'instrument: c'est un don de Dieu. Apprenez maintenant la théorie.
--Qu'entendez-vous par là? le droit, la chicane?
--Oh! si ce n'était que cela! Je veux dire: Apprenez la science de l'humanité, l'histoire, la politique, les religions diverses; et puis, jugez, combinez, formez-vous une certitude...
--Vous voulez dire des idées? reprit-il avec ce sourire et ce regard qui imposaient par leur conviction triomphante; j'en ai déjà, des idées, et si vous voulez que je vous le dise, je crois que je n'en aurai jamais de meilleures; car nos idées viennent de nos sentiments, et tous mes sentiments, à moi, sont grands! Oui, Monsieur, le ciel m'a fait grand et bon. J'ignore quelles épreuves il me réserve; mais, je le dis avec un orgueil qui ne pourrait faire rire que des sots, je me sens généreux, je me sens fort, je me sens magnanime; mon ame frémit et mon sang bouillonne à l'idée d'une injustice. Les grandes choses m'enivrent jusqu'au délire. Je n'en tire et n'en peux tirer aucune vanité, ce me semble; mais, je le dis avec assurance, je me sens de la race des héros!?
Je ne pus réprimer un sourire; mais Horace, qui m'observait, vit que ce sourire n'avait rien de malveillant.
?Vous êtes surpris, me dit-il, que je m'abandonne ainsi devant vous, que je connais à peine, à des sentiments qu'ordinairement on ne laisse pas percer, même devant son meilleur ami? Croyez-vous qu'on soit plus modeste pour cela?
--Non, certes, et l'on est moins sincère.
--Eh bien, donc, sachez que je me trouve meilleur et moins ridicule que tous ces hypocrites qui, se croyant in petto des demi-dieux, baissent sournoisement la tête et affectent une pruderie prétendue de bon go?t. Ceux-là sont des égo?stes, des ambitieux dans le sens ha?ssable du mot et de la chose. Loin de laisser étaler cet enthousiasme qui est sympathique et autour duquel viennent se grouper toutes les idées fortes, toutes les ames généreuses (et par quel autre moyen s'opèrent les grandes révolutions?), ils caressent en secret leur étroite supériorité, et, de peur qu'on ne s'en effraie, ils la dérobent aux regards jaloux, pour s'en servir adroitement le jour où leur fortune sera faite. Je vous dis que ces hommes-là ne sont bons qu'à gagner de l'argent et à occuper des places sous un gouvernement corrompu; mais les hommes qui renversent les pouvoirs iniques, ceux qui agitent les passions généreuses, ceux qui remuent sérieusement et noblement le monde, les Mirabeau, les Danton, les Pitt, allez voir s'ils s'amusent aux gentillesses de la modestie!?
Il y avait du vrai dans ce qu'il disait, et il le disait avec tant de conviction qu'il ne me vint pas dans l'idée de le contredire, quoique j'eusse dès lors par éducation, peut-être autant que par nature, l'outrecuidance en horreur. Mais Horace avait cela de particulier, qu'en le voyant et en l'écoutant, on était sous le charme de sa parole et de son geste. Quand on le quittait, on s'étonnait de ne pas lui avoir démontré
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