Horace | Page 5

George Sand
front. Horace savait parfaitement qu'il pouvait impunément déranger dix fois par heure sa coiffure, parce que, selon l'expression qui lui échappa un jour devant moi, ses cheveux étaient admirablement bien plantés. Il était habillé avec une sorte de recherche. Il avait un tailleur sans réputation et sans notions de la vraie fashion, mais qui avait l'esprit de le comprendre et de hasarder toujours avec lui un parement plus large, une couleur de gilet plus tranchée, une coupe plus cambrée, un gilet mieux bombé en plastron qu'il ne le faisait pour ses autres jeunes clients. Horace e?t été parfaitement ridicule sur le boulevard de Gand; mais au jardin du Luxembourg et au parterre de l'Odéon, il était le mieux mis, le plus dégagé, le plus serré des c?tes, le plus étoffé des flancs, le plus voyant, comme on dit en style de journal des modes. Il avait le chapeau sur l'oreille, ni trop ni trop peu, et sa canne n'était ni trop grosse ni trop légère. Ses habits n'avaient pas ce moelleux de la manière anglaise qui caractérise les vrais élégants; en revanche, ses mouvements avaient tant de souplesse, et il portait ses revers inflexibles avec tant d'aisance et de grace naturelle, que du fond de leurs carrosses ou du haut de leurs avant-scènes, les dames du noble faubourg, voire les jeunes, avaient pour lui un regard en passant.
Horace savait qu'il était beau, et il le faisait sentir continuellement, quoiqu'il e?t l'esprit de ne jamais parler de sa figure. Mais il était toujours occupé de celle des autres. Il en remarquait minutieusement et rapidement toutes les défectuosités, toutes les particularités désagréables; et naturellement il vous amenait, par ses observations railleuses, à comparer intérieurement sa personne à celle de ses victimes. Il était mordant sur ce sujet-là; et comme il avait un nez admirablement dessiné et des yeux magnifiques, il était sans pitié pour les nez mal faits et pour les yeux vulgaires. Il avait pour les bossus une compassion douloureuse, et chaque fois qu'il m'en faisait remarquer un, j'avais la na?veté de regarder en anatomiste sa charpente dorsale, dont les vertèbres frémissaient d'un secret plaisir, quoique le visage n'exprimat qu'un sourire d'indifférence pour cet avantage frivole d'une belle conformation. Si quelqu'un s'endormait dans une attitude gênée ou disgracieuse, Horace était toujours le premier à en rire. Cela me for?a de remarquer, lorsqu'il habita ma chambre, ou que je le surpris dans la sienne, qu'il s'endormait toujours avec un bras plié sous la nuque ou rejeté sur la tête comme les statues antiques; et ce fut cette observation, en apparence puérile, qui me conduisit à comprendre cette affectation naturelle, c'est-à-dire innée, dont j'ai parlé plus haut. Même en dormant, même seul et sans miroir, Horace s'arrangeait pour dormir noblement. Un de nos camarades prétendait méchamment qu'il posait devant les mouches.
Que l'on me pardonne ces détails. Je crois qu'ils étaient nécessaires, et je reviens à mes premiers entretiens avec lui.

II.
Le jour suivant, je lui demandai pourquoi, ayant une telle répugnance pour le droit, il ne se livrait pas à l'étude de quelque autre science. ?Mon cher Monsieur, me dit-il avec une assurance qui n'était pas de son age, et qui semblait empruntée à l'expérience d'un homme de quarante ans, il n'y a aujourd'hui qu'une profession qui conduise à tout, c'est celle d'avocat.
--Qu'est-ce donc que vous appelez tout? lui demandai-je?
--Pour le moment, me répondit-il, la députation est tout. Mais attendez un peu, et nous verrons bien autre chose!
--Oui, vous comptez sur une nouvelle révolution? Mais si elle n'arrive pas, comment vous arrangerez-vous pour être député? Vous avez donc de la fortune?
--Non pas précisément; mais j'en aurai.
--A la bonne heure. En ce cas, il s'agit pour vous d'avoir votre dipl?me, et vous n'aurez pas besoin d'exercer.
Je le croyais sincèrement dans une position de fortune assez éminente pour légitimer sa confiance. Il hésita quelques instants; puis, n'osant me confirmer dans mon erreur, ni m'en tirer brusquement, il reprit: ?Il faut exercer pour être connu... sans aucun doute, avant deux ans les capacités seront admises à la candidature; il faut donc faire preuve de capacité.
--Deux ans? cela me para?t bien peu; d'ailleurs il vous faut bien le double pour être re?u avocat et pour avoir fait vos preuves de capacité; encore serez-vous loin de l'age...
--Est-ce que vous croyez que l'age ne sera pas abaissé comme le cens, à la prochaine session, peut-être?...
--Je ne le crois pas; mais enfin, c'est une question de temps, et je crois qu'un peu plus t?t ou un peu plus tard, vous arriverez, si vous en avez la ferme résolution.
--N'est-il pas vrai, me dit-il avec un sourire de béatitude et un regard étincelant de fierté, qu'il ne faut que cela dans le monde? Et que, de si bas que l'on parte, on peut gravir aux sommités sociales, si l'on a dans le sein
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