Hokousaï | Page 4

Edmond de Goncourt
Hokousa? n'a pas rencontré près du public la vénération accordée aux grands peintres du Japon, parce qu'il s'est consacré à la représentation de la Vie vulgaire[10], mais que, s'il avait pris la succession de Kano et de Tosa, il aurait certainement dépassé les Okiyo et les Bountch?.
[Note 10: Je me conforme à la traduction consacrée, mais Oukiy? yé serait plut?t traduisible par: la vie courante, la vie telle qu'elle se présente rigoureusement aux yeux du peintre.]

II
Hokousa?[11] est né le dix-huitième jour du premier mois de la dixième année de H?réki, le 5 mars 1760.
[Note 11: Les Japonais mangent le ou du nom et le prononcent Hok'sa?. Maintenant encore, les Japonais aspirent très fort l'H du commencement du nom du peintre, et il faudrait peut-être, pour conserver au nom l'aspiration de là-bas, redoubler l'H, mais ce serait changer trop complètement l'orthographe à laquelle le public fran?ais est habitué.]
Il est né à Yédo, dans le quartier Honj?, quartier de l'autre c?té de la Soumida, touchant à la campagne, quartier affectionné par le peintre et qui lui a fait un temps signer ses dessins: le paysan de Katsoushika, --Katsoushika étant le district de la province où se trouve le quartier Honj?.
D'après le testament de sa petite fille Shira? Tati, il serait le troisième fils de Kawamoura Itiroyémon qui, sous le nom de Bounsei, aurait été un artiste à la profession inconnue. Mais, vers l'age de quatre ans, Hokousa?, dont le premier nom était Tokitaro, était adopté par Nakajima Issé, fabricant de miroirs de la famille princière de Tokougawa: adoption qui lui faisait faussement donner pour père ce Nakajima Issé.
Hokousa?, encore gar?onnet, entrait comme commis de librairie chez un grand libraire de Yédo où, tout à la contemplation des livres illustrés, il remplissait si paresseusement et si dédaigneusement son métier de commis qu'il était mis à la porte.
Ce feuilletage des livres illustrés du libraire, cette vie dans l'image, pendant de longs mois, avait fait na?tre chez le jeune homme le go?t, la passion du dessin, et nous le trouvons vers les années 1773, 1774, travaillant chez un graveur sur bois, et en 1775, sous le nouveau nom de Tétsouz?, gravant les six dernières feuilles d'un roman de Santch?. Et le voilà graveur jusqu'à l'age de dix-huit ans.

III
En 1778, Hokousa?, alors dit Tétsouz?, abandonne son métier de graveur, ne consent plus à être l'interprète, le traducteur du talent d'un autre, est pris du désir d'inventer, de composer, de donner une forme personnelle à ses imaginations, a l'ambition de devenir un peintre. Et il entre à l'age de dix-huit ans dans l'atelier de Shunsh? où son talent naissant lui mérite un nom: le nom de Katsoukawo Shunr? sous lequel le ma?tre l'autorise à signer ses compositions représentant une série d'acteurs, dans le format en hauteur des dessins de comédiens de Shunsh? son ma?tre, et où commence à appara?tre chez le jeune Shunr? un rien du dessinateur qui sera plus tard le grand Hokousa?.
Et, avec la persévérance d'un travail entêté, il continue à dessiner et à jeter dans le public, jusqu'en 1786, des compositions portant la signature de Katsoukawo Shunr? ou simplement Shunr?.
Les compositions de ces années d'Hokousa?, ainsi que les premières compositions d'Outamaro, étaient gravées dans des petits livres à cinq sous, ces livres populaires, au tirage en noir, à la couverture jaune, d'où ils tirent leur nom: Kibi?shi, LIVRES JAUNES.
Le premier livre jaune qu'il illustrait, en 1781, à l'age de vingt et un ans, était un petit roman en trois volumes, intitulé: Arigata? tsouno itiji, GR?CE à UN MOT GALANT, TOUT EST PERMIS, roman que ni Hayashi, ni les biographes du peintre japonais n'ont rencontré, et dont le texte, à l'époque de la publication, a été attribué à Kitao Masanobou, plus tard le célèbre romancier Ki?dén, tandis que le texte et les dessins sont d'Hokousa? qui avait publié cette plaquette sous le pseudonyme de Koréwasa?, sobriquet signifiant: ?Est-ce cela?? le refrain d'une chansonnette du temps.
L'année suivante, en 1782, Hokousa? publie les COURRIERS DE KAMAKOURA, deux fascicules dont il fait le texte et les dessins et qu'il présente au public sous le nom de Guioboutsou pour le texte, et de Shunr? pour les dessins.
C'est le récit d'un fait historique, d'une tentative au XVIIe siècle du renversement du troisième sh?goun par Sh?sétsou. Et l'on voit, dans la succession des planches, le jeune ambitieux complotant presque enfant, se livrant aux exercices militaires, apprenant d'un tacticien mystérieux l'art de la guerre,--et le moyen magique d'être vu par le regard des hommes, sous son apparence sept fois répétée. Et il organise la conspiration, qui fait égorger les courriers, et il rêve la protection d'un dieu favorable à ses desseins, et a l'illusion de se voir dans un miroir, en sh?goun, et un de ses affidés en premier ministre, et il tient conseil avec ses partisans, et il bataille bravement avec
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