réponses de l'accusé, qui, d'ailleurs, protestait sans énergie contre l'accusation; il semblait n'attacher au drame qu'une importance secondaire et paraissait ressentir pour la victime l'indifférence qu'il s'attachait à montrer pour sa ma?tresse. Il n'y avait aucune forfanterie dans la fa?on dont il s'exprimait. Il répondait avec la précipitation d'un homme à qui il tarde d'échapper à une formalité ennuyeuse.
Pendant la courte suspension d'audience qui suivit l'interrogatoire, je demandai à Maurice ce qu'il pensait de tout cela.
--Oh! oh! me dit-il, vous allez vite en besogne. Ne pensons jamais si promptement. Laissons-nous d'abord entra?ner à l'impression du moment.
--J'avoue, interrompis-je, que cette première impression est absolument défavorable à l'accusé...
--Qui vous dit que je ne sois pas de votre avis? Nous avons choisi cette affaire au hasard; sa simplicité peut rendre inutiles toutes recherches de notre part. En tout cas, nous ne perdons pas notre temps. écoutons et attendons.
L'audition des témoins commen?a.
TREMPLIER, concierge de la maison, répéta les détails déjà consignés dans l'acte d'accusation; il avait vu Beaujon s'élancer, nu-tête, hors de la maison. Un mouvement irraisonné l'avait porté à l'arrêter au passage. Il n'avait d'ailleurs aucun soup?on. Mais l'attitude de Beaujon lui paraissait extraordinaire.
D.--N'a-t-il prononcé aucune parole au moment où vous l'avez arrêté?
R.--Non, il se débattait en poussant des cris inarticulés. Je le croyais fou.
D.--Quel était le caractère de Defodon?
R.--C'était un brave jeune homme, mais un peu trop noceur, d'autant qu'il était d'une mauvaise santé; il avait à tout moment des mouvements nerveux, quand une porte se fermait trop fort, au moindre bruit... mais c'était un bon gar?on, et pas chiche du tout...
D.--Que savez-vous sur les relations de l'accusé avec la fille Gangrelot?
R.--Ah! ?a, c'est une tra?née comme il y en a beaucoup (ici quelques expressions trop pittoresques qui excitent l'hilarité et que nous nous abstenons de reproduire).
D.--Les deux jeunes gens se cachaient-ils l'un de l'autre dans leurs relations avec elle?
R.--Pour ?a, je n'en sais rien... je crois pourtant qu'elle aimait mieux M. Defodon.
Trois personnes avaient entendu du bruit dans la chambre de Defodon et étaient accourues les premières aux cris poussés par Beaujon.
LA DEMOISELLE RATEAU (émilie), dix-neuf ans, sans profession, était occupée, dit-elle, lorsque des cris s'échappèrent de la chambre qui n'est séparée de la sienne que par une cloison. La personne qui était avec elle s'élan?a au dehors et elle la suivit.
Elle a trouvé Defodon étendu par terre en chemise. Il ne remuait plus.
D.--Avez-vous entendu parler haut... quelque chose comme une querelle?
La demoiselle Rateau hésite, puis répond en baissant la voix, qu'elle ne faisait pas attention, à ce moment-là, à ce qui se passait à c?té.
Le sieur BARNIOLI (Giacomo), rentier, quarante-cinq ans, était en visite chez la fille Rateau. Il affirme avoir entendu des éclats de voix qui lui semblent, bien qu'il ne puisse l'affirmer, indiquer une querelle. Puis une porte s'était ouverte violemment, et quelqu'un s'était élancé sur l'escalier. Il a cru alors à un accident, et obéissant à une première impulsion, s'est élancé pour porter secours si cela était nécessaire.
à une question du président, qui insiste sur le point de savoir s'il y avait ou non querelle, le sieur Barnioli répond qu'il n'a pas bien remarqué, mais que cependant les éclats de voix ne lui ont pas paru résulter d'une conversation amicale.
LAVORIT (Gustave), étudiant, vingt-trois ans, travaillait dans sa chambre, au-dessus de celle qu'occupaient en ce moment ces deux jeunes gens. Il a entendu du bruit et est rapidement descendu. Il a trouvé Defodon sans mouvement.
Le DOCTEUR MERCIER, trente ans, habite la maison. On est allé aussit?t le chercher, et il a tenté de donner à Defodon les premiers soins. Mais il a reconnu aussit?t que tout effort était inutile. Les marques des doigts étaient très visibles sur le cadavre. Defodon était vêtu seulement de sa chemise, les jambes et les pieds nus. évidemment, il s'était levé précipitamment ou avait été tiré de son lit. Les couvertures étaient rejetées, le tapis dérangé.
Lorsque Beaujon est remonté, ramené par le concierge, il était extrêmement pale, et, au premier coup d'oeil jeté sur le cadavre, il est tombé en faiblesse, sans proférer une parole. Le témoin connaissait fort peu les deux jeunes gens et ne peut fournir sur leur caractère aucun renseignement.
V
Après la déposition de M. de Lespériot, commissaire de police, dont les constatations ne présentent aucun intérêt nouveau, on appelle la fille Gangrelot (Annette).
Vive émotion dans l'auditoire; plusieurs personnes montent sur les bancs pour voir l'héro?ne. On crie de toutes parts: ?Assis! assis!? Les huissiers ont peine à rétablir l'ordre. Le président rappelle l'assistance aux convenances, et menace, au cas où semblable tumulte se renouvellerait, de faire évacuer la salle.
Annette Gangrelot, dit la Bestia, est agée de vingt-huit ans. C'est une grande fille, assez forte, aux allures décidées. Elle est très brune. Ses cheveux sont plantés bas sur le front. Le visage est commun, quoique assez beau. Elle a de grands
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