Histoires incroyables, Tome I | Page 9

Jules Lermina
chose. Mais j'y songerai plus tard. Voici déjà deux heures que je r?de autour de la maison et du parc. Aucun des trois gentlemen n'est sorti. Il est huit heures et demie. La nuit est profonde, et, seule, la fenêtre que j'ai d'abord remarquée a été éclairée. C'est là qu'ils sont.
Si je pouvais m'approcher, si je pouvais plonger mon regard dans cette chambre! Mais il n'y faut pas songer. La grille est bien fermée. Les murs sont trop élevés. Oh! si de la puissance de mon oeil--rivé à cette fenêtre--je pouvais percer cette épaisseur qui me les cache. Non, il ne faut rien livrer au hasard. Demain je verrai, demain je ferai un pas de plus dans le labyrinthe où je me suis engagé.
Tout à coup--ce fut une terrible surprise, en vérité--un grand cri parvint jusqu'à moi.
Ce n'était pas un cri de douleur. Je ne supposai pas un seul instant que quelqu'un p?t avoir besoin de secours. C'était une clameur longue--longue--comme l'ululation du chat en amour. Et, de fait, c'était moins un cri qu'un son. Il n'avait pas été proféré, comme l'est un cri dans un arrachement de l'ame. Il avait commencé voilé, presque timide, puis avait grossi dans une expansion sinistre. Puis au moment même où il allait s'éteindre, deux autres sons s'étaient élevés, et le premier avait recommencé comme pour se joindre à eux--parallèlement. Quelque chose comme la tonique, la tierce et la quinte.
Hou... ou... ou... ou!... C'était à peu près cela, et cependant nulle voix humaine ne pourrait, à mon avis, proférer le même son. à la fenêtre que j'observais, je vis un notable changement. L'ombre succédait à la lumière, puis la lumière à l'ombre. Il me semblait encore--avec les hou! qui ne s'arrêtaient pas,--entendre d'autres bruits, ceux-là sourds, lourds, comme si une masse sans cesse relevée e?t été sans cesse rejetée sur le plancher... Puis les hou! s'interrompaient, et alors je percevais des éclats de voix,--de vrais éclats. Cela ressemblait au bruit des batons des Irlandais, quand ils s'assomment à la porte de quelque bouge.
Ces voix avaient l'air de frapper, tant elles étaient sèches et rauques.
Puis les lumières bondissaient encore, puis elles disparaissaient sous l'interposition de quelque corps opaque...

X
Mon parti était pris: dussé-je vivre cent ans, j'aurais employé le reste de ma vie à percer le mystère.
Je passerai sur quelques détails qui cependant nécessitèrent de ma part un véritable travail. Oh! je ne reculai devant aucune fatigue.
Je sus d'abord quels étaient les deux gentlemen, amis de Golding.
L'un était le révérend Pfoster, qui édifiait ses chères brebis par ses prêches pleins de douceur et de charité. Je l'écoutai, comme jamais prédicateur ne fut écouté. Et, en vérité, c'était un habile parleur... mais que m'importe sa faconde ou son habileté? Je le suivis tout un jour, je le vis entrer dans la maison des pauvres et porter des secours aux malades. Je le vis, d'un pas calme et mesuré, parcourir les rues et saluer d'un signe de tête les enfants qui passaient. Mais ce que je vis aussi--et que me faisait tout le reste?--c'est qu'à six heures il quittait l'endroit où il se trouvait, quel qu'il f?t, et que de son allure qui devenait alors saccadée--comme saccadé était le pas de Golding à six heures--il allait, sans s'arrêter, vers la maison de briques rougeatres.
L'autre--le troisième--était un bon vivant. Sur mon ame, il fallait avoir l'esprit bien soup?onneux pour ne pas croire à la vertu de cet excellent homme, toujours souriant, passant sa vie au cercle, à table ou au jeu, aimant les jeunes gens et se mêlant volontiers aux parties que nos jeunes flirters organisent avec les blondes filles de l'Union. Comme il savait galamment--et avec quel sourire!--offrir son bras à la plus rose de nos adorables misses...
Oui, jusqu'à six heures!
Car--décidément--cette heure est fatale.
Elle sonne dans la vie de ces trois hommes comme tombe le battant sur la cloche de cuivre. Et leur ame tinte sous ce coup, et frissonne longtemps encore après que le son s'est éteint!
Comme je les tenais bien tous les trois! J'avais tracé autour d'eux un cercle cabalistique dont mon regard était le centre, dont leur vie était la circonférence. Je les voyais s'agiter. Je les couvais de l'oeil. Oh! ils m'appartenaient bien, et quelle jouissance j'éprouvais à me dire: Ils ne se doutent de rien.
J'étais dans leur ombre, dans l'air qui les environnait. Je surgissais auprès d'eux alors qu'ils ne soup?onnaient pas--et comment l'auraient-ils soup?onné?--que quelqu'un les épiait...
Je remarquai encore ceci.
Avant six heures ils ne se connaissaient pas. Feignaient-ils de ne pas se conna?tre? Je ne pourrais pas l'affirmer et, cependant, quand, plusieurs fois, je les vis se rencontrer, se croiser en se touchant du coude, ou se cédant mutuellement le pas sur un trottoir trop étroit, jamais je ne surpris--et il fallait qu'il f?t impossible de rien surprendre--un regard, un clignement d'yeux.
à
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 56
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.