Histoires incroyables, Tome I | Page 7

Jules Lermina
portait la tête et tenait le cou à deux mains...
Et ils s'enfuyaient dans la direction du parc, avec leur fardeau ballotté, cahoté, tressautant.
Qu'auriez-vous fait? Ce que je fis.
Je courus après eux. Mais, bast! ces jambes-là étaient de fer; je les vis, longtemps, bondissant à travers les rues, les squares, les avenues, l'emportant, lui,--et avec lui mon secret,--et je dus m'arrêter, haletant, épuisé, soufflant et m'appuyant les deux mains au c?té... Ils échappèrent à ma vue.

VI
Voyons. Me voici chez moi, bien calme, bien reposé. Il faut que je réfléchisse.
Quel est mon point de départ? Ah! j'y suis... Six heures. Cette heure a un sens, ce moment a une influence. Sur qui? Sur Golding, ceci est acquis.--Et remarquons-le--une influence indépendante de sa propre volonté. La preuve, c'est qu'à six heures moins deux minutes, il dormait.
Seconde question.--Comment a-t-il eu conscience de l'heure, alors que le narcotique--car j'avoue mon subterfuge--agissait sur son système nerveux?
Avez-vous remarqué ceci? Vous vous étiez dit, en vous couchant: demain, il faut que je me réveille à cinq heures du matin. Et à cinq heures juste, n'ayant auprès de vous que votre montre qui ne sonne pas, vous vous réveillez en sursaut. Il faut donc que votre cerveau ait été monté--par le fait de votre intention--de telle sorte qu'un mouvement monitoire se produis?t juste à l'heure dite. Cet effet est évidemment de même nature: oui, c'est cela. Dans ce corps engourdi, il y eut--par habitude de volonté--détente réflexe d'un ressort à six heures juste. Et la machine excitée se mit tout entière en motion, comme lorsque vous touchez le balancier d'une pendule et que le reste du mécanisme se trouve entra?né par cet effort.
Donc, quand je disais tout à l'heure--influence _indépendante de sa volonté--je me trompais, c'est à la persistance latente_ de cette volition, devenue instinctive par l'habitude, qu'il faut attribuer cette mise en action.
Considérons donc ces deux points comme prouvés: six heures, temps fixe où quelque chose doit être fait par Golding, et ne peut pas _ne pas être fait_--puis, en second lieu, excitation cérébrale provenant de l'habitude, habitude déterminée dans le principe par un acte de volonté.
Un jour, il s'est dit: ?Tous les jours, à six heures, je ferai cela.? Et au bout d'un certain temps, il n'a plus été nécessaire pour lui d'avoir recours à l'acte coercitif de la volonté. La volonté a été reléguée au second plan. Aujourd'hui, le voul?t-il, il ne pourrait s'abstenir de faire ce quelque chose.
--Je ferai cela!--a dit Golding. Cela, c'est x.
Quels sont les autres éléments du problème?
Deux gentlemen, obéissant à la même préoccupation... N'allons pas si vite. Est-ce bien là la vérité, et ne fais-je pas fausse route? Même préoccupation? Non, une même préoccupation aurait déterminé chez eux un effort dans le même sens. C'est-à-dire, qu'eux aussi, ils auraient voulu aller quelque part. Lui voulait sortir de chez moi, eux voulaient y entrer. Il n'y a pas identité de volition, mais, au contraire, contradiction d'effort. D'autre part, ils voulaient se rencontrer,--d'où tendance à un point d'intersection.
Prenons deux points mathématiques A et B, pla?ons-les comme ceci:
A................................. B
A, c'est Golding, qui tendait évidemment vers B, et qui tend là chaque jour, à six heures. Donc habitude de la part de B d'être touché, chaque soir (à une heure que nous ne pourrions déterminer qu'en connaissant la distance de A à B), par la ligne partant de A. Habitude d'être touché par cette ligne implique, de la part de B, tendance à aller au-devant de A.
Alors B--que nous admettons animé, puisque cette idée se dégage que B est représenté par les deux gentlemen--en raison de cette tendance à sentir A près de lui--B, dis-je, s'est peu à peu rapproché de A...; un obstacle matériel s'est opposé à la réunion des deux termes du problème; mais la double tendance agissant continuellement, A et B ont tendu l'un vers l'autre à travers ma porte... et lorsque j'ai ouvert ma porte, B double de A, l'a entra?né au point où ils eussent d? se trouver depuis longtemps... si je n'avais invité Golding à luncher avec moi.
Je repasse soigneusement mes déductions. Elles sont justes.
Occupons-nous maintenant de la conclusion, qui servira de base à mes recherches ultérieures.

VII
Cette conclusion, la voici, telle qu'elle sort tout armée de mon cerveau.
Golding doit tous les soirs aller retrouver les deux gentlemen. Il ne peut s'en dispenser. Eux de leur c?té ne peuvent rester séparés de Golding.
Et cela ne dépend pas d'un caprice, d'une fantaisie de vieillards: il y a plus que désir, plus qu'habitude, il y a nécessité. Ce n'est pas une liaison qui existe entre ces trois hommes, c'est un lien, plus serré que le noeud d'Alexandre, et l'épée s'émousserait sur lui. Une pareille amitié, fatale, involontaire, n'a qu'un nom. J'hésite à le prononcer... elle s'appelle (bast! personne ne lira ceci) complicité!

VIII
Le lendemain, de bonne heure, j'étais chez Golding. Je ne vous
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