Histoires grises, by E. Edouard
Tavernier
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Title: Histoires grises
Author: E. Edouard Tavernier
Release Date: June, 2004 [EBook #5892] [This file was first posted on
September 18, 2002] [Most recently updated December 29, 2002]
Edition: 10
Language: French
Character set encoding: ISO-6659-1
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GRISES ***
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Histoires grises.
By E. Edouard Tavernier.
HISTOIRES GRISES
Plutarque.
L'honneur est une île escarpée et sans bords, où l'on ne peut plus
rentrer... quand on en est, par le fait des autres, trop souvent sorti.
(Méditations sur Boileau)
I.
Il s'appelait Plutarque. Ce nom lui avait été donné un soir chez un
marchand de vins, à cause d'un livre qu'on lui voyait lire de temps en
temps et qu'il avait ramassé à la porte d'un lycée. On connaissait
l'homme; pour l'interpeller, il fallait bien un nom. C'était son nom
maintenant pour de bon; il s'en accommodait: on se fait à tout.
La journée qui pour lui s'était annoncée normale, c'est-à-dire ni bonne
ni mauvaise, avait particulièrement bien fini. Il s'était mis à pleuvoir
des arrosoirs, et en dépit de l'opinion courante, la pluie n'est pas une
chose désagréable; grâce à l'eau d'en haut, les trottoirs ne sont pas
encombrés, les promeneurs et les sergents de ville ne manifestent pas
un intérêt particulier à ce que peuvent faire les gueux; ceux-ci ont
même le loisir de s'arrêter, dans leur promenade -- ce qui est déjà bien
-- sous une porte ou sous la tente d'un café -- ce qui est mieux encore
parce que, des conversations qui s'engagent naît la possibilité de rendre
quelques services; les obligés ne s'attardent pas en général à compter
leur billon.
En passant place de la République, devant un petit hôtel, Plutarque eut
le bonheur de voir attendre, dans le cadre de la porte, un homme
heureux, c'est-à-dire un ventre assez gros, barré d'une chaîne de montre
en or, juché sur deux jambes gainées dans un pantalon soigné finissant
en souliers à guêtres blanches, le tout surmonté d'une bonne figure sous
un chapeau melon nullement usé. Ne voulant sans doute pas ternir la
joie de son âme ou tacher ses guêtres, l'homme heureux avait hélé
Plutarque pour un taxi. Peu de temps après, Plutarque arrivait dans un
virage savant, à grande allure, debout sur le marchepied, les mains
cramponnées à la poignée. Avant de laisser refermer la portière,
l'homme heureux avait mis quatre francs dans la main creuse que
Plutarque tendait poliment.
Cet homme était évidemment disproportionné, aussi bien avec le
service rendu qu'avec les allures du client. Plutarque n'avait pas
demandé au conducteur de faire le tour de la place pour laisser croire
que ses recherches avaient été laborieuses. Quant au client, il avait l'air
à son aise, c'est vrai, mais ne devait pourtant pas être un abonné de
l'Opéra. Seulement, quand on est content...
Plutarque examina les pièces sous le réverbère, essaya de les rayer l'une
contre l'autre d'abord, puis avec l'ongle noir de son pouce. Les deux
épreuves ayant été satisfaisantes, il les glissa dans la poche gauche de
sa veste; mais comme la doublure ne tenait pas beaucoup, il les retint
dans sa main qu'il ne retira pas.
Evidemment, le problème changeait. La solution du manger et du
dormir, quand on n'a pas le sou, est complètement différente de celle
qu'on peut lui donner quand on a de l'argent. Du coup, le travail
inconscient de la journée tendant à la préparation de la nuit devenait
superflu; c'est sur d'autres bases qu'il partait. Naturellement, d'abord il
mangerait, cela va de soi, et non un de ces bouillons délavés qu'on vous
donne dans les soupes de quartier ou dans les patronages, mais des
choses qu'on mâche et qui résistent juste ce qu'il faut: un
navarin-carotte par exemple. Et la pensée seule de ce mets amenait du
jus