Histoires Grises | Page 7

E. Edouard Tavernier
fonctionnaire, en ��levant la voix.
Plutarque n'insista pas, entrevoyant des d��sagr��ments et vint s'appuyer sur un r��verb��re, d��cid�� �� attendre la cuisini��re qui le ferait bien entrer, pensait-il. Son attitude fut-elle jug��e provocante par l'agent? Peut-on savoir ce que ces gens-l�� croient? Le repr��sentant de l'ordre vint �� lui, le pin?a cruellement au bras, en lui disant presque �� voix basse:
- Il faut circuler.
Peut-��tre par simple douleur physique ou pour d'autres raisons encore, deux larmes piqu��rent aux yeux de Plutarque. Il alla vers le refuge de la place attendre la bonne �� la descente; il avait de l'argent �� elle, il fallait qu'il la rencontrat.
Comme les hasards ne sont pas toujours heureux, il ne la rencontra ni dans la rue, ni �� l'arriv��e. Il attendit des heures durant tous les tramways, son coeur finissait par battre plus vite quand les voyageurs descendaient. A mesure que le temps passait, il se reprochait de n'avoir pas regard�� suffisamment bien la sortie des premi��res voitures. Puis la certitude vint que la cuisini��re ��tait d��j�� au march�� et qu'il l'avait manqu��e. Il attendit son retour; vers dix heures, il la vit poindre au bout de la place, l'enfant d'une boutiqui��re qu'il connaissait, lui portait ses paniers. Il s'avan?a vers elle et s'appr��tait �� lui donner des explications. D��s qu'elle l'aper?ut, elle se r��pandit en invectives et en reproches:
- Vous m'avez vol�� mon argent, on a bien tort d'avoir confiance...
Ce fut en vain qu'il tenta de placer un mot en restituant l'argent. La femme reprit avidement son bien, en lui disant:
- Que je ne vous revoie plus.
Doucement, il l'accompagna quand m��me jusqu'�� la voiture, aida l'enfant qui n'��tait pas assez grand pour passer les paquets, se d��couvrit au moment du d��part, mais ne re?ut que ce seul merci:
- Hypocrite!
L'amertume vint en lui, mais trop pr��s encore de son ��poque vagabonde, elle venait sans r��volte, sans haine. La temp��rature n'est pas toujours belle, il pleut bien quelquefois. Pourquoi en vouloir �� quelqu'un?
Assez tard dans la matin��e, �� force de raisonnement, il se reprit, se remonta:
- C'��tait trop b��te. Il y avait une explication �� donner. Les choses n'en pouvaient pas rester l��. Et puis, en somme, le franc de la cuisini��re comptait peu dans ses ressources. C'��tait sa situation chez le marchand de vin et �� l'h?tel qui l'asseyait. Il entrevoyait d��j�� la possibilit�� de s'engager davantage chez ses deux employeurs. Il pouvait prendre la place de la bonne dont on ��tait m��diocrement satisfait.
Il pensa �� toutes ces solutions et alla dans l'apr��s-midi, s'acheter la casquette.
Il eut un succ��s fou en entrant au d��bit, et la soir��e fut tr��s gaie dans la petite salle de la buvette.
Plutarque, �� cause de son histoire avec l'agent et �� cause de sa casquette avait eu les honneurs de la conversation. Le patron, la patronne et quelques habitu��s le congratulaient et jugeaient s��v��rement l'autorit��.
- "Tout ?a, c'est parce qu'on n'est pas riche", dirent les femmes.
Le patron avait surtout de l'admiration pour Plutarque �� cause de son id��e de couvre-chef...
- "Voil�� un gar?on, faisait-il remarquer, qui avait des besoins autrement pressants; et bien non, il n'a pens�� qu'�� son affaire. En faisant ainsi, il conna?t son monde".
Et comme les histoires des autres ne vous int��ressent que par ce qu'elles ont de commun avec les n?tres, il concluait en s'adressant �� sa femme:
- "Je t'avais bien dit que nous aurions eu meilleur compte �� faire peindre la devanture qu'�� acheter les banquettes et l'armoire".
On causa tard. Les clients et le patron offrirent chacun une tourn��e, mais refus��rent celle que proposait Plutarque, en raison de ses malheurs et de la d��pense ��norme de sa journ��e. De toute la chaleur des alcools absorb��s, on se serra les mains en se quittant.
Cette r��union, cet entourage, ces amiti��s auraient d? lui donner confiance, et lui montrer que son histoire du matin n'��tait qu'un pur accident. Cependant, il n'��tait pas tranquille en se couchant; le charme se rompit d��s qu'il fut seul. Son lit lui paraissait meilleur que d'habitude, un peu comme les attentions d'une ma?tresse qu'on sent vous quitter, et cependant il s'agitait et ne pouvait arriver �� dormir.
Au matin, son pressentiment n'avait pas disparu: il avait peur d'aller au march��. Si l'agent le reconnaissait, si la bonne allait lui faire une sc��ne devant tout le monde? Il ��tait perplexe, mais toute son appr��hension s'��vanouit quand il eut regard�� sa t��te sous la resplendissante casquette, dans un miroir de poche qui pendait au mur. Il irait, c'��tait son droit d'y aller; qui pourrait vraiment trouver �� redire? Il discutait avec lui-m��me. Il pactisa enfin: il attendrait que le march�� battit son plein; dans les all��es et venues, on ne le reconna?trait s?rement pas, surtout coiff�� de la sorte. Et, pour se le prouver, il mettait alternativement sa casquette neuve et sa vieille casquette et essayait en tournant
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