Ce ne sont point des enjambées, ses pas ne sont ni formés ni distincts comme les n?tres; c'est une espece de piétinement précipité qui échappe à la v?e; c'est moins marcher que glisser, en tenant les pieds l'un derrière l'autre. A peine il est possible de distinguer de mouvement dans son corps & dans ses pieds, & encore moins de la suivre. Ce petit essai qui ne fut rien, puisqu'il se fit dans une salle de peu d'étendue, me persuada néanmoins de ce qu'elle m'avoit dit auparavant, que même plusieurs années depuis sa prise, elle attrapoit encore le gibier à la course, & qu'on en avoit fait voir la preuve à la Reine de Pologne, mere de la Reine; probablement en 1737, lorsqu'elle alla prendre possession du Duché de Lorraine. Cette Princesse passant à Chalons, on lui parla de la jeune Sauvage qui étoit alors dans la Communauté qu'on appelle des Régentes, & on la lui amena: elle étoit aprivoisée depuis quelques années; mais son humeur, ses manières, & même sa voix & sa parole, ne paroissoient être, à ce qu'elle assure, que d'une petite fille de quatre à cinq ans. Le son de sa voix étoit aigu & per?ant quoique petit, ses paroles brèves & embarassées, telles que d'un enfant qui ne s?ait pas encore les termes pour exprimer ce qu'il veut dire: enfin ses gestes & fa?ons d'agir familières & enfantines, montroient qu'elle ne distinguoit encore que ceux qui lui faisoient le plus de caresses. La Reine de Pologne l'en accabla; & sur ce qu'on lui apprit de sa légéreté à la course, cette Princesse voulut qu'elle l'accompagnat à la chasse. Là se voyant en liberté, & se livrant à son naturel, la jeune Fille suivoit à la course les lièvres ou lapins qui se levoient, les attrapoit & revenoit du même pas, les apporter à la Reine. Cette Princesse témoigna quelque désir de l'emmener avec elle pour la placer dans un Couvent à Nancy; mais elle en fut detournée par les personnes qui avoient soin de son instruction dans le Couvent de Chalons, où feu Mgr. le Duc d'Orleans payoit alors Sa pension. La Reine de Pologne se contenta de promettre d'écrire en sa faveur à la Reine de France sa fille, en lui envoyant une plante à plusieurs branches de fleurs artificielles que lui avoit présenté la jeune Sauvage, qui avoit déja acquis le talent qu'elle a cultivé depuis, d'imiter le naturel dans ces sortes d'ouvrages. Elle a fait dans la Reine de Pologne une perte dont les bontés de la Reine sa fille peuvent seules la dédommager. Je reviens au temps voisin de sa prise, & au commencement de son éducation; mais avant que de passer outre, il faut dire ce qu'on a p? savoir de certain de ses avantures avant son apparition dans le Village de Songi.
Mademoiselle le Blanc (c'est le nom qu'elle porte aujourd'hui) se ressouvient très-distinctement d'avoir passé une rivière deux ou trois jours avant sa prise, & l'on verra bient?t que c'est un des faits le plus constant de son Histoire. Elle avoit alors une compagne un peu plus agée qu'elle & noire comme elle, soit que ce f?t la couleur naturelle de cette autre enfant, soit qu'elle eut été peinte comme la petite le Blanc. Elles passoient la rivière à la nage & plongeoient pour attraper du poisson, comme je l'expliquerai plus au long, lorsqu'un Gentil-homme du voisinage appellé M. de S. Martin, ainsi que l'a su depuis Mademoiselle le Blanc, ne voyant de loin que les deux têtes noires de ces enfans aller & venir sur l'eau, les prit d'abord, comme il l'a conté lui-même, pour deux poules d'eau, & leur tira de loin un coup de fusil, qui heureusement ne les atteignit point, mais qui les fit plonger & aborder plus loin.
La petite le Blanc tenoit pour sa part un poisson à chaque main & une anguille entre ses dents. Après avoir éventré & lavé leur poisson, elle & sa compagne le mangèrent, ou plut?t le devorèrent; car selon ce qu'elle m'a représenté, elles ne machoient pas leur nourriture, mais la portant à la bouche elles la déchiquetoient avec les dents de devant en petits morceaux, qu'elles avaloient sans les macher. Leur repas fait, elles prirent leur course dans les terres en s'éloignant de la rivière. Peu de tems après, celle qui est devenue Mademoiselle le Blanc apper?ut la premiere à terre un chapelet, que quelque passant avoit sans doute perdu. Soit que ce fut un objet nouveau pour elle, ou qu'elle se rappellat d'en avoir v? de semblable, elle se mit à faire des sauts & des cris de joie, & craignant que sa compagne ne s'emparat de ce petit trésor, elle porta la main dessus pour le ramasser, ce qui lui attira un si grand coup
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