Histoire dun baiser | Page 8

Albert Cim
d'avance?... C'est stupide!... N'y songeons plus... Voyons, secouons-nous! Hop!
Et, pour faire diversion, il se leva, se mêla à la foule des promeneurs et erra, le cigare aux lèvres, le long des quais.
Vers les sept heures il regagna l'h?tel, et, bien qu'il ne se sentit pas grand'faim, prit placé à table, et, toujours pour se remonter le moral, se donner des forces, se contraignit à manger et fêta de son mieux les plats et les vins.
Il quitta le dernier la salle à manger, se disant que cette fois il n'y avait plus à barguigner, que le moment était venu de s'enfermer dans sa chambre et de...
Mais, tout en délibérant de la sorte, il avait franchi le seuil de l'h?tel et se trouvait déjà de l'autre c?té de la rue.
Une affiche de spectacle frappa ses regards. Par extraordinaire... LA VIE PARISIENNE... _jouée par les acteurs du théatre des Variétés, de Paris_...
--Si j'y allais? Je puis bien encore attendre jusqu'à ce soir... Voilà tout, j'en serai quitte pour ne rentrer à Chèvremont que par un train du matin... Pour une fois, le père Pichancourt n'aura rien à dire... A moins que... que ce ne soit moi qui... ai la déveine? Brrr!...
Au théatre, il fit la connaissance de deux aimables dames, à qui il offrit des grogs durant un entr'acte, et qui, à la fin de la représentation, lui proposèrent d'aller souper avec lui.
Il ne rentra à son h?tel que très tard, ou très bonne heure pour mieux dire, puisque les premières blancheurs de l'aube moutonnaient à l'horizon.
Il avait la tête lourde, le cerveau congestionné, fiévreux, tout br?lant, comme si on lui e?t versé dans le crane du plomb en ébullition. Cependant il se souvenait... La petite bo?te était là, dans une pochette de son portefeuille. Il fallait s'exécuter... Autrement, que penseraient de lui ses collègues Lardenois et Cabrillat? Il avait juré d'ailleurs... Il devait tenir son serment, montrer qu'il n'était pas un lache!
Non, il n'avait pas peur, et la preuve!...
Il saisit la pilule et l'avala.
* * * * *
Une heure plus tard, Nestor Richefeu, qui s'était jeté tout habillé sur son lit et n'avait pas tardé à succomber au sommeil, fut réveillé par des crampes affreuses, d'atroces douleurs d'entrailles.
Aussit?t la mémoire lui revint... La vérité surgit brusquement...
--Ah! mon Dieu! C'est moi! Empoisonné! Fichu! Ah! mon Dieu!
Et il se mit à hurler comme un possédé.
Les gens de l'h?tel accoururent. Vite on envoya quérir un médecin.
Les souffrances du malade paraissaient augmenter, son état empirer rapidement. Quand le docteur arriva, Nestor Richefeu gisait presque sans connaissance, secoué de moments en moments par de violents soubresauts, les lèvres spumeuses, la respiration saccadée, le front et le visage et tout le corps trempé de sueur.
Un des gar?ons raconta que ?ce voyageur était rentré au petit jour, qu'il l'avait entendu trébucher dans l'escalier, comme quelqu'un qui n'a ni les jambes ni la tête bien solides, que c'était simplement une... une indigestion?.
--Une forte indigestion, oui, ajouta le docteur; mais compliquée d'intoxication, certainement!
Et, jugeant à divers sympt?mes que ce toxique devait être l'opium, il prescrivit les révulsifs et antidotes indiqués.
Une insurmontable torpeur s'était emparée de Richefeu, et ce n'est que dans l'après-midi du lendemain qu'il commen?a à sortir de cet état comateux et à recouvrer ses esprits.
?Il était dans une chambre d'h?tel... à Genève... à cause de... du duel... pour Mlle Desormeaux... de la pilule préparée par Cabrillat... Oui! C'était lui qui avait eu la malchance, sans aucun doute... Il n'était pas mort pourtant!...?
Il garda le lit ou la chambre trois jours encore; puis, le samedi matin, le docteur lui ayant rendu sa liberté, il s'achemina, encore flageolant, vers la gare, et reprit la route de Chèvremont-en-Bresse.
* * * * *
M. Pichancourt était debout sur le seuil de sa porte, discutant, clamant et gesticulant, le dos tourné vers la rue, au moment où Nestor Richefeu arrivait devant la pharmacie et se préparait à réintégrer le bercail.
Involontairement, à la vue de son patron, il fit mine de se dérober, voulut rebrousser chemin; mais le père Pichancourt l'avait aper?u.
--Ah bon! Voilà l'autre, à présent! Quand je vous disais qu'ils s'étaient donné le mot! J'avais bien deviné: mes gaillards ont décampé tous deux ensemble, s'en sont allés de conserve tirer une bordée, et les voici qui nous reviennent, toujours de compagnie! Entrez donc, Richefeu, ne restez pas sur le trottoir, mon gar?on!
Richefeu obéit, et aper?ut dans la boutique, non seulement son pseudo-complice Lardenois, mais Félix Cabrillat et trois autres potards déjà installés derrière les comptoirs et intronisés dans leurs fonctions.
M. Pichancourt continua:
--Vous auriez d? m'avertir au moins, que diantre!... C'est ce que j'étais justement en train de dire à Lardenois... J'aurais pris mes dispositions en conséquence. Je ne vous ai jamais refusé de congé: au besoin je serais venu moi-même vous suppléer... Mais déguerpir ainsi, laisser ainsi une maison en plan! Ce sont des
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