Histoire dun Casse-noisette | Page 7

Alexandre Dumas, père
s'ouvrirent, et l'on vit,
dans les appartements éclairés de bougies hautes d'un demi-pouce, se
promener de petits messieurs et de petites dames: les messieurs,
magnifiquement vêtus d'habits brodés, de vestes et de culottes de soie,
ayant l'épée au côté et le chapeau sous le bras; les dames splendidement
habillées de robes de brocart avec de grands paniers, coiffées en racine
droite et tenant à la main des éventails, avec lesquels elles se
rafraîchissaient le visage comme si elles étaient accablées de chaleur.
Dans le salon du milieu, qui semblait tout en feu à cause d'un lustre de
cristal chargé de bougies, dansaient au bruit de cette sonnerie une foule
d'enfants: les garçons, en veste ronde; les filles, en robe courte. En
même temps, à la fenêtre d'un cabinet attenant, un monsieur, enveloppé

d'un manteau de fourrure, et qui bien certainement ne pouvait être qu'un
personnage ayant droit an moins au titre de sa transparence, se montrait,
faisait des signes et disparaissait, et cela tandis que le parrain
Drosselmayer lui-même, vêtu de sa redingote jaune, avec son emplâtre
sur l'oeil et sa perruque de verre, ressemblant à s'y méprendre, mais
haut de trois pouces à peine, sortait et rentrait comme pour inviter les
promeneurs à entrer chez lui.
Le premier moment fut pour les deux enfants tout à la surprise et à la
joie; mais, après quelques minutes de contemplation, Fritz, qui se tenait
les coudes appuyés sur la table, se leva, et, s'approchant impatiemment:
--Mais, parrain Drosselmayer, lui dit-il, pourquoi entres-tu et sors-tu
toujours par la même porte? Tu dois être fatigu d'entrer et de sortir
toujours par le même endroit. Tiens, va-t'en par celle qui est là-bas, et
tu rentreras par celle-ci.
Et Fritz lui montrait de la main les portes des deux tours.
--Mais cela ne se peut pas, répondit le parrain Drosselmayer.
--Alors, reprit Fritz, fais-moi le plaisir de monter l'escalier, de te mettre
à la fenêtre à la place de ce monsieur, et de dire ce monsieur d'aller à la
porte à ta place.
--Impossible, mon cher petit Fritz, dit encore le conseiller de médecine.
--Alors les enfants ont dansé assez; il faut qu'ils se promènent tandis
que les promeneurs danseront à leur tour.
--Mais tu n'es pas raisonnable, éternel demandeur! s'écria le parrain qui
commençait à se fâcher; comme la mécanique est faite, il faut qu'elle
marche.
--Alors, dit Fritz, je veux entrer dans le château.
--Ah! pour cette fois, dit le président, tu es fou, mon cher enfant; tu
vois bien qu'il est impossible que tu entres dans ce château, puisque les
girouettes qui surmontent les plus hautes tours vont à peine à ton
épaule.
Frite se rendit à cette raison et se tut; mais, au bout d'un instant, voyant
que les messieurs et les dames se promenaient sans cesse, que les
enfants dansaient toujours, que le monsieur au manteau de fourrures se
montrait et disparaissait intervalles égaux, et que le parrain
Drosselmayer ne quittait pas sa porte, il dit d'un ton fort désillusionné:
--Parrain Drosselmayer, si toutes tes petites figures ne savent pas faire
autre chose que ce qu'elles font et recommencent toujours à faire la

même chose, demain tu peux les reprendre, car je ne m'en soucie guère,
et j'aime bien mieux mon cheval, qui court à ma volonté, mes hussards,
qui manoeuvrent à mon commandement, qui vont à droite et à gauche,
en avant, en arrière, et qui ne sont enfermés dans aucune maison, que
tous tes pauvres petits bonshommes qui sont obligés de marcher
comme la mécanique veut qu'ils marchent.
Et, à ces mots, il tourna le dos à parrain Drosselmayer et à son château,
s'élança vers la table, et rangea en bataille son escadron de hussards.
Quant à Marie, elle s'était éloignée aussi tout doucement; car le
mouvement régulier de toutes les petites poupées lui avait paru fort
monotone. Seulement, comme c'était une charmante enfant, ayant tous
les instincts du coeur, elle n'avait rien dit, de peur d'affliger le parrain
Drosselmayer. En effet, à peine Fritz eut-il le dos tourné, que, d'un air
piqué, le parrain Drosselmayer dit an président et à la présidente:
--Allons, allons, un pareil chef-d'oeuvre n'est pas fait pour des enfants,
et je m'en vais remettre mon château dans sa boîte et le remporter.
Mais la présidente s'approcha de lui, et, réparant l'impolitesse de Fritz,
elle se fit montrer dans de si grands détails le chef-d'oeuvre du parrain,
se fit expliquer si catégoriquement la mécanique, loua si
ingénieusement ses ressorts compliqués, que non-seulement elle arriva
à effacer dans l'esprit du conseiller de médecine la mauvaise impression
produite, mais encore que celui-ci tira des poches de sa redingote jaune
une multitude de petits hommes et de petites femmes à peau brune,
avec des yeux blancs et des pieds et des mains dorés. Outre leur mérite
particulier, ces petits
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