Histoire de la Révolution française, VIII. | Page 6

Adolphe Thiers
et de repasser le Rhin; et il agit en cela avec
une grande sagesse, et mérita l'estime par la manière dont il conduisit
sa retraite.
Les ennemis de la république triomphaient de ce mouvement rétrograde,
et répandaient les bruits les plus alarmans. Leurs malveillantes
prédictions se réalisèrent au moment même de l'installation du
directoire. Le vice du plan adopté par le comité de salut public
consistait à diviser nos forces, à laisser ainsi à l'ennemi, qui occupait
Mayence, l'avantage d'une position centrale, et à lui inspirer par là
l'idée de réunir ses troupes, et d'en porter la masse entière sur l'une ou
l'autre de nos deux armées. Le général Clerfayt dut à cette situation une
inspiration heureuse, et qui attestait plus de génie qu'il n'en avait
montré jusqu'ici, et qu'il n'en montra aussi dans l'exécution. Un corps
d'environ trente mille Français bloquait Mayence. Maître de cette place,
Clerfayt pouvait en déboucher, et accabler ce corps de blocus, avant
que Jourdan et Pichegru eussent le temps d'accourir. Il saisit, en effet,
l'instant convenable avec beaucoup d'à-propos. A peine Jourdan
s'était-il retiré sur le Bas-Rhin, par Dusseldorf et Neuwied, que Clerfayt,
laissant un détachement pour l'observer, se rendit à Mayence, et y
concentra ses forces, pour déboucher subitement sur le corps de blocus.
Ce corps, sous les ordres du général Schaal, s'étendait en demi-cercle
autour de Mayence, et formait une ligne de près de quatre lieues.
Quoiqu'on eût mis beaucoup de soin à la fortifier, son étendue ne
permettait pas de la fermer exactement. Clerfayt, qui l'avait bien
observée, avait découvert plus d'un point facilement accessible.
L'extrémité de cette ligne demi-circulaire, qui devait s'appuyer sur le
cours supérieur du Rhin, laissait entre les derniers retranchemens et le
fleuve une vaste prairie. C'est sur ce point que Clerfayt résolut de porter
son principal effort. Le 7 brumaire (29 octobre), il déboucha par
Mayence avec des forces imposantes, mais point assez considérables
cependant pour rendre l'opération décisive. Les militaires lui ont
reproché, en effet, d'avoir laissé sur la rive droite un corps qui, employé

à agir sur la rive gauche, aurait inévitablement amené la ruine d'une
partie de l'armée française. Clerfayt dirigea, le long de la prairie qui
remplissait l'intervalle entre le Rhin et la ligne de blocus, une colonne
qui s'avança l'arme au bras. En même temps, une flottille de chaloupes
canonnières remontait le fleuve pour seconder le mouvement de cette
colonne. Il fit marcher le reste de son armée sur le front des lignes, et
ordonna une attaque prompte et vigoureuse. La division française
placée à l'extrémité du demi-cercle, se voyant à la fois attaquée de front,
tournée par un corps qui filait le long du fleuve, et canonnée par une
flottille dont les boulets arrivaient sur ses derrières, prit l'épouvante et
s'enfuit en désordre. La division de Saint-Cyr, qui était placée
immédiatement après celle-ci, se trouva découverte alors, et menacée
d'être débordée. Heureusement l'aplomb et le coup d'oeil de son général
la tirèrent de péril. Il fit un changement de front en arrière, et exécuta sa
retraite en bon ordre, en avertissant les autres divisions d'en faire autant.
Dès cet instant, tout le demi-cercle fut abandonné; la division Saint-Cyr
fit son mouvement de retraite sur l'armée du Haut-Rhin; les divisions
Mengaud et Renaud, qui occupaient l'autre partie de la ligne, se
trouvant séparées, se replièrent sur l'armée de Sambre-et-Meuse, dont,
par bonheur, une colonne, commandée par Marceau, s'avançait dans le
Hunde-Ruck. La retraite de ces deux dernières divisions fut
extrêmement difficile, et aurait pu devenir impossible, si Clerfayt,
comprenant bien toute l'importance de sa belle manoeuvre, eût agi avec
des masses plus fortes et avec une rapidité suffisante. Il pouvait, de
l'avis des militaires, après avoir rompu la ligne française, tourner
rapidement les divisions qui descendaient vers le Bas-Rhin, les
envelopper, et les renfermer dans le coude que le Rhin forme de
Mayence à Bingen.
La manoeuvre de Clerfayt n'en fut pas moins très-belle, et regardée
comme la première de ce genre exécutée par les coalisés. Tandis qu'il
enlevait ainsi les lignes de Mayence, Wurmser, faisant une attaque
simultanée sur Pichegru, lui avait enlevé le pont du Necker, et l'avait
ensuite repoussé dans les murs de Manheim. Ainsi, les deux armées
françaises ramenées au-delà du Rhin, conservant à la vérité Manheim,
Neuwied et Dusseldorf, mais séparées l'une de l'autre par Clerfayt, qui
avait chassé tout ce qui bloquait Mayence, pouvaient courir de grands
dangers devant un général entreprenant et audacieux. Le dernier

événement les avait fort ébranlées; des fuyards avaient couru jusque
dans l'intérieur, et un dénûment absolu ajoutait au découragement de la
défaite. Clerfayt, heureusement, se hâtait peu d'agir, et employait
beaucoup plus de temps qu'il n'en aurait fallu pour concentrer toutes ses
forces.
Ces tristes nouvelles, arrivées du 11 au 12 brumaire à Paris, au moment
même de l'installation du directoire,
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